David Goldblatt, l’oeil écoute !

Exposition de David Goldblatt à la fondation HCB © Baptiste de Ville d'Avray
Exposition de David Goldblatt à la fondation HCB © Baptiste de Ville d’Avray
Il est des photographes emblématiques d’un pays et d’une époque. David Goldblatt en fait partie. Ce Sud-africain né en 1930 est un enfant du siècle qui n’aura cessé de documenter ce pays austral au passé violent et au présent complexe. Son exposition à la Fondation HCB est intitulée « TJ », de l’acronyme donné à la ville de Johannesburg sur les anciennes plaques d’immatriculation. David Goldblatt, qui est né en 1930 à 40 km de cette mégapole, a choisi d’y résider depuis plusieurs décennies et d’en explorer toutes les facettes. « Johannesburg est une ville fragmentée depuis sa création, en 1886. Dès le départ, les blancs n’ont pas voulu des gens de couleur parmi eux et ce, bien avant l’apartheid. Il y a donc eu fragmentation en fonction des races et des classes, et, souvent, les deux se rejoignaient. Ça a déterminé la géographie de la ville et je pense que ces fractures vont perdurer encore très longtemps, peut-être pendant encore 50 ou 100 ans… », explique celui qui a toujours documenté toutes les communautés, sans discrimination aucune.

L’exposition s’ouvre d’ailleurs avec son travail sur la communauté indienne expropriée de Fietas, un quartier devenu blanc du jour au lendemain sur injonction gouvernementale, en 1953. « C’est arrivé dans plein d’autres endroits du pays avec une vigueur et une violence incommensurables », se souvient David Goldblatt. « Le Group Area Act est l’un des fondements du système juridique et idéologique de l’apartheid. On était tous classés par race. Dans son entreprise de catégorisation des populations, le gouvernement a défini au mètre près les endroits où chaque race pouvait vivre et travailler. Je ne peux pas m’empêcher de faire une analogie avec ce que j’ai vu à cette époque, les résultats de cette loi, et le sort des juifs en Allemagne pendant la seconde guerre mondiale. C’était quelque chose d’insoutenable de classer les gens en fonction de leur couleur de peau. »

La première partie de l’exposition, qui rassemble une soixantaine de tirages de 1948 à 1990, raconte ce système de l’intérieur. Et, comme souvent avec Goldblatt, le diable est dans les détails, comme cet écolier de Hilbraw, en 1972, qui a un air de premier de la classe (blanche) mais un pull mité… Et puis il y a ces portraits de femmes dans leur chambre. Il y a la blanche, pelotonnée sur son lit dans une pièce tirée à quatre épingles, transpirant le confort et la culture (un téléphone, une radio, des livres, une peinture) mais qui a l’air mal à l’aise, ne sait pas quoi faire de ses mains. Et il y a la noire, entourée de murs lépreux, dans une pièce vide excepté un porte-manteau sans manteau. Elle a mis du rouge à lèvres. Elle a le regard franc, la pose altière. La lutte des classes et des races en chair et en os.

David Goldblatt lors du vernisage de son exposition à la fondation HCB © Baptiste de Ville d'Avray
David Goldblatt lors du vernisage de son exposition à la fondation HCB © Baptiste de Ville d’Avray

Pendant longtemps, David Goldblatt a mené un travail professionnel (commandes de presse…) et personnel en parallèle, utilisant la couleur pour ses photos « pro » mais travaillant exclusivement en noir et blanc pour le reste. « La couleur était trop douce pour parler de l’Apartheid. J’avais besoin du noir et blanc était pour exprimer la colère. Je suis passé à la couleur en 2000, car j’étais dans le même processus de libéralisation que le pays. Je voulais l’explorer d’une façon différente, encouragé aussi par les progrès techniques. » Certains travaux couleur sont donc aussi exposés, comme cette frise macabre qui aligne les Punishment cells, prisons pour hommes noirs de Johannesburg, photographiées en 2000.

Puis c’est le retour au noir et blanc pour la série des « Ex-offenders », qui montre des criminels sur le lieu de leurs forfaits (meurtre, vol, viol…), mettant leur vie en image mais aussi en mots. « Nous avons un taux de criminalité extrêmement élevé en Afrique du Sud. Chacun d’entre nous est touché d’une manière ou d’une autre par cette criminalité. Je me suis demandé : qui sont ces criminels ? Des monstres, des gens ordinaires ? Pourraient-ils être moi, mes enfants ou mes petits enfants ? J’ai voulu les rencontrer et les photographier en dehors d’un cadre institutionnel comme la prison. Je voulais les voir en tant que citoyens et les ramener sur le lieu qui a changé leur vie et celle de leur victime. Je n’ai jamais tenté de convaincre qui que ce soit. Nous sommes allés sur le lieu du crime, j’ai pris la photo et je leur ai mis un enregistreur entre les mains pour qu’ils se racontent. Je les ai payé 80 euros chacun et si jamais ce travail doit me rapporter de l’argent, il ira intégralement à une association de réinsertion d’ex-délinquants. »

Chroniqueur exigeant de la société sud-africaine, David Goldblatt est né au sein d’une famille juive d’origine lituanienne,et reprend le magasin de confection masculine paternel jusqu’en 1963. A la mort du père, il devient photographe à plein temps… « La photographie, je ne l’ai pas apprise par moi-même, je me la suis enseignée ! L’Afrique du Sud était très isolée de l’Europe et des Etats-Unis mais j’ai quand même eu accès à des livres, des magazines. J’ai découvert Walker Evans, Paul Strand, Irving Penn, Cartier-Bresson… De grandes figures qui m’ont influencé. Dans les années 50, ma technique était atroce, tout était le fruit du hasard. Je me suis amélioré avec l’expérience car il n’y avait pas d’écoles. Aujourd’hui, je dirais que 75% de ma technique est encore le fruit du hasard ! », plaisante cet homme alerte qui a l’âge d’un grand-père mais l’air d’un grand enfant. « La photographie est pour moi un challenge permanent qui me comble entièrement », dit-il. Premier artiste sud-africain a bénéficier d’une monographie au Musée d’Art moderne de New-York (en 1998), il a reçu différents prix dont les prestigieux Hasseblad (2006) et Henri Cartier-Bresson (2009) mais manifeste un intérêt limité pour le marché de l’art. « Je ne me considère pas comme un artiste mais comme un photographe. Mon but, c’est de faire des images fortes et cohérentes, c’est tout. »

Exposition de David Goldblatt à la fondation HCB © Baptiste de Ville d'Avray
Exposition de David Goldblatt à la fondation HCB © Baptiste de Ville d’Avray

Exposition de David Goldblatt à la fondation HCB © Baptiste de Ville d'Avray
Exposition de David Goldblatt à la fondation HCB © Baptiste de Ville d’Avray