Dokountin, résidence d’artistes

_ « Yes I, je me présente, je m’appelle … et je serai votre capitaine jusqu’à Lille. Là un autre de mes collègues prendra la relève. Durant le trajet, si vous trouvez qu’il fait trop chaud ou trop froid n’hésitez pas à venir me le signaler. Vous pouvez manger dans le bus mais n’oubliez pas d’utiliser les poubelles qui sont placées à l’avant et à l’arrière du véhicule. Des toilettes sont à votre disposition, veillez à les laisser propres. La compagnie … vous souhaite un agréable voyage. »

La personne qui s’adresse ainsi aux passagers du bus Paris – Bruxelles à bord duquel je me trouve n’est autre que le chauffeur. Je suis en route pour la ville terminus de ce bus, où je suis attendu pour participer à un projet de résidence initié par l’association sans but lucratif (asbl) Mòsso – terme italien qui veut dire notamment « en mouvement ».

Installée à Bruxelles, l’absl Mòsso a initié fin juin 2014 son premier projet. Intitulé Dokountin il consiste en la résidence de deux plasticiens africains dont le béninois Thierry Oussou et le burkinabé Nestor Da. La résidence, qui prendra fin en septembre de cette année avec l’exposition des travaux réalisés dans ce cadre, bénéficie du support financier de Wallonie Bruxelles International (WBI), de la Maison des cultures et de la Cohésion Sociale du quartier bruxellois de Molenbeek Saint-Jean, ainsi que des partenariats de la galerie Cécile Fakhoury (sise à Abidjan) et d’autres encore.

**Paris – Bruxelles

Le chauffeur conclut sa longue tirade tout en se dirigeant vers le volant par un : « Yes I, Jah Rastafari ». Ce qui ne manque pas de surprendre et de faire sourire certains des passagers, moi y compris. Bien que celui qui s’exprime de la sorte ne porte pas de dreadlocks – il arbore plutôt des tresses qui épousent la forme de son crâne – il n’en parle pas moins un langage que l’on prête plutôt aux rastas.

Détail comique qui donne le ton à ce voyage lequel s’annonce sous le signe de la bonne humeur. Toutefois, je ne vous raconterai rien de plus à ce propos, l’objet de mon article étant de vous rendre compte du projet de résidence qui a pour titre Dokountin – ce qui en langue fon, une des langues les plus parlées au Bénin – signifie : « Là où se trouve la richesse ». J’y cours donc.

Après cinq heures de route – je n’ai pas choisi le plus court chemin – me voilà rendu à Bruxelles. À la descente du bus, je suis accueilli par Estelle Lecaille, l’une des responsables de l’asbl Mòsso qui est à l’origine et en charge du projet Dokountin. Après dix à quinze minutes en voiture dans la ville nous voilà dans la rue du Cheval Noir dans le quartier de Molenbeek. C’est là, dans cet ensemble d’appartements abritant essentiellement des artistes que sont logés les deux artistes invités, à savoir Nestor Da et Thierry Oussou. Après m’être installé dans mes appartements, je pars à leur rencontre. Ce n’est pas la première fois que nous nous voyons, les retrouvailles sont donc spontanées et amicales.

Thierry Oussou et Nestor Da à Bruxelles © Nestor Da
Thierry Oussou et Nestor Da à Bruxelles © Nestor Da

Estelle Lecaille et Thierry Oussou à Bruxelles © Nestor Da
Estelle Lecaille et Thierry Oussou à Bruxelles © Nestor Da

**En résidence

Nestor Da et Thierry Oussou ont tous deux six ans de différence et des parcours très différents. L’un est plasticien et vidéaste, l’autre est photographe. Mais la photographie pour Nestor Da, est un matériau brut dont il use pour créer de nouvelles images. Il « construit son travail non seulement à partir de ses propres photographies, mais aussi à partir de matériaux trouvés. Il les juxtapose, les confronte les uns aux autres, les peint et les fait se chevaucher dans la même image afin de déconstruire l’original. (…) Il collectionne et rassemble des fragments qui dévoilent une nouvelle vision de l’image et crée un univers singulier sur papier photographique »[[Extrait de la biographie de l’artiste présent sur le site de la Galerie Cécile Fakhoury]]

Né en 1982 à Bingerville en Côte d’Ivoire de parents burkinabés, Nestor Da semble vouloir se jouer des catégories, éviter de se laisser enfermer dans une quelconque case, comme si son maître mot était avant tout d’être libre de s’exprimer comme il l’entend. Il accepte cependant sans rechigner qu’on le qualifie de photographe, après tout c’est ce qu’il est même s’il retravaille ses images. « La photographie, dit-il, me donne confiance, elle est ma force et ma passion »[[Nestor Da, photographe », éditions de l’œil, Paris, 2011, p.11]]. Le personnage promène sa figure longiligne – qui lui donne des allures de personnage de bande dessinée – dans les rues de la capitale européenne depuis le 5 juillet, date à laquelle il a débarqué pour la première fois à Bruxelles. Depuis, à la recherche de son sujet, il part à la rencontre des personnes qui ont accepté de se prêter au jeu de modèle et deviennent ainsi les éléments de ses futures compositions.

Son travail est à découvrir sur le site de sa galerie Cécile Fakhoury.

Thierry Oussou Tournage au Jardin Urbain de Molenbeek © Dagara Dakin
Thierry Oussou Tournage au Jardin Urbain de Molenbeek © Dagara Dakin

Thierry Oussou, né en 1988 est autodidacte. Il se fait remarquer sur la scène artistique béninoise en remportant dès le collège de nombreux prix. En 2012, il a été sélectionné pour participer à l’atelier photographique « Inventer le monde en image » dans le cadre de la biennale du Bénin avec l’association Afrique in visu. Il est pour le moins déterminé dans son souhait de faire de son art son moyen d’exister. Son parcours est assez éloquent pour ne pas dire impressionnant, quand on connaît les conditions de travail des artistes sur le continent. Dernièrement il a été accepté pour une bourse d’enseignement d’une durée de deux ans à la Rijksakademie (Académie Royale des Beaux Arts) à Amsterdam. Ce qui, nous le lui souhaitons, donnera de l’ampleur à sa vision, élargira son champ de prospection et lui permettra d’asseoir un certain nombre de ses connaissances. Plus connu pour ses vidéos, il développe dans le cadre de cette résidence un genre de reportage expérimental basé sur le thème des quatre éléments. Ce thème de réflexion est celui proposé cette année par la Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale de Molenbeek, l’un des partenaires de cette résidence d’artistes. Pour ce faire, c’est accompagné d’Estelle Lecaille preneuse de son pour l’occasion, que Thierry Oussou va à la rencontre des habitants du quartier et à la découverte de l’architecture de la ville.

Thierry Oussou et Nestor Da s’étaient déjà croisés une première fois lors de la Biennale de Cotonou en 2012. Nestor Da exposait alors dans l’exposition officielle et y décrochait le prix d’encouragement de l’Institut Français tandis que Thierry Oussou à ce même moment présentait son travail dans le lieu Unik à Abomey.

**Sur tous les fronts

La résidence Dokountin est non seulement une occasion pour les deux artistes d’apprendre à mieux se connaître mais aussi un moyen de faire connaissance avec la scène artistique bruxelloise et accroître leur réseau. C’est à cela que servent les moments de convivialité à l’exemple de la soirée organisée par Mòsso le 17 juillet. À cette occasion les deux résidents ont pu échanger avec les artistes africains installés ou de passage à Bruxelles à l’exemple de Freddy Tsimba, Sammy Baloji ou encore Aimé Mpane, Christelle Yaovi, etc. Tous étaient présents afin de permettre les échanges et de faciliter les possibles à venir.

Travail en cours durant le stage réalisé par Nestor Da à Molenbeek © Nestor Da
Travail en cours durant le stage réalisé par Nestor Da à Molenbeek © Nestor Da

Travail réalisé durant le stage de Nestor Da à Molenbeek © Nestor Da
Travail réalisé durant le stage de Nestor Da à Molenbeek © Nestor Da

Estelle Lecaille doit être sur tous les fronts : faciliter les démarches de chacun des artistes et s’occuper des questions administratives et logistiques. Au moment où je suis arrivé, elle attendait encore des réponses concernant les financements de la résidence. Il lui a bien fallu lancer le projet sans attendre, sans quoi le risque était que rien ne se fasse. Bien lui en a pris puisque au final tous les partenaires qui s’étaient engagés sont au rendez-vous et que de belles surprises ont jalonné ce dédale dans lequel elle s’était engagée. Les refus furent nombreux, le doute était aussi de l’aventure mais tout semble être en bonne voie.

En reprenant le bus pour Paris le 18 juillet en début d’après midi sous un soleil de plomb, je laisse derrière moi Thierry Oussou, Nestor Da, Estelle Lecaille et bien d’autres encore croisés lors de ce bref séjour bruxellois. La présentation du résultat de la résidence en septembre pourrait bien être une belle occasion pour revoir la plupart d’entre eux.

L’asbl Mòsso est en route et on ne peut que lui souhaiter que le long trajet qui l’attend soit jalonné de belles réalisations et la conduise à bon port : Là ou se trouve la richesse, en somme.

Bruxelles – Paris, juillet 2014