Dominic Nahr : combats au Nord-Kivu

A Perpignan, Afrique in visu a rencontré trois photographes internationaux dont les travaux sur l’Afrique étaient exposés au Festival international de photojournalisme. Avant

portrait Dominic Nahr © Dominic Nahr
portrait Dominic Nahr © Dominic Nahr
Walter Astrada (AFP) au sujet des émeutes sanglantes à Madagascar en février dernier et la Somalie dans le capteur de Pascal Maître (Cosmos), rencontre avec Dominic Nahr (Œil Public), 26 ans, qui a tout lâché et posé pour la première fois le pied sur le sol africain en octobre dernier en partant couvrir les combats entre l’armée de la République démocratique du Congo et les rebelles du CNDP, au Nord-Kivu, témoignant également des déplacements de population fuyant cette zone.

Ces images ont été publiées à l’époque par Le Monde 2, l’Internazionale, Der Spiegel, Vanity Fair, et depuis le photographe s’est installé à Nairobi au Kenya pour couvrir l’actualité de la région. Originaire de Suisse et élevé à Hong-Kong, Dominic Nahr a débuté sa carrière en Asie, et notamment au Timor Oriental pour l’AFP, avant d’intégrer le Eddie Adams Workshop à New York et d’y recevoir le Getty Images assignment Award… Puis en 2008 le prix d’excellence du Photographer of the Year International, et tout récemment le prix Oskar Barnack de la relève, doté par Leïca. Il commente pour Afrique in Visu son exposition ‘Road to nowhere’.

Parlez-nous de l’endroit où ont été prises ces images…

Ca se passe à deux ou trois heures de Goma, près de Rumangabo. Rumangabo a été l’un des premiers endroits où les rebelles du CNDP ont enregistré une avancée significative en prenant une colline très haute, qui permettait auparavant aux forces gouvernementales de contrôler le secteur. D’ailleurs ceux-ci l’ont ensuite reprise, puis perdue à nouveau. C’était donc parmi les premiers combats vraiment importants (ndlr : les forces congolaises ont ensuite affirmé que l’armée rwandaise avait prit part à ces combats, ce que les autorités rwandaises ont démenti). Les rebelles avaient pris d’autres endroits auparavant, mais plus isolés, dans la campagne. Là nous étions près de la route principale du Nord-Kivu.


© Dominic Nahr / Œil Public # 009 Un groupe de militaires congolais à bord d'une jeep près de Rugari quitte la ligne de front après avoir repoussé les rebelles du CNDP. République démocratique du Congo. 26 octobre 2008.
© Dominic Nahr / Œil Public # 009 Un groupe de militaires congolais à bord d’une jeep près de Rugari quitte la ligne de front après avoir repoussé les rebelles du CNDP. République démocratique du Congo. 26 octobre 2008.
Comme vous l’indiquez dans la légende, ces deux femmes fuient les combats… C’est ce que vous avez décidé de montrer ?

Disons que pour l’exposition à Perpignan nous avons décidé de ne pas trop montrer de photos de corps, de ne pas être dans quelque chose de trop difficile. Les combats avaient lieu un peu plus loin dans les collines, nous entendions ou voyions les explosions provoquées notamment par les tanks. Il était difficile de s’approcher plus près pour les voir directement. S’aventurer plus profondément dans le maquis, sans véritable guide et en suivant les coups de feu, aurait été trop dangereux. Je travaillais avec un autre photographe, nous avions un chauffeur et parfois un fixer et traducteur, qui nous aidait à négocier avec les forces gouvernementales – il y avait énormément de check-points.

Etait-ce difficile de convaincre les soldats de vous laisser les photographier ?

Il était très difficile pour nous d’approcher des rebelles, qui étaient de l’autre côté. Il nous aurait fallu dépasser la ligne de front puis un no man’s land truffé de cadavres pour les rejoindre. C’était dangereux de s’aventurer par là. Pour les forces gouvernementales, c’était évidemment plus simple de les photographier les jours où ils avançaient où réussissaient à faire reculer leurs opposants. Ils étaient satisfaits et moins agressifs. C’était beaucoup plus compliqué quand ils essuyaient des pertes, ce qui a été le cas presque tout le temps lors de ma présence, à l’exception d’un ou deux jours.

Depuis, il semble que la situation se soit améliorée…

Oui, et je crois que les médias, qui étaient très nombreux et ont maintenu une pression sur la situation en montrant le conflit, ont participé à ce qu’il se règle rapidement et que les combats s’arrêtent, pour un moment en tout cas. Ajourd’hui c’est encore différent, il y a énormément de groupes rebelles en R.D. Congo, depuis le nord avec la LRA jusqu’au sud avec la SDLR : les soldats du gouvernement se battent sur différents fronts. D’ailleurs, depuis, les rebelles du CNDP ont été intégrés à l’armée gouvernementale. C’est très compliqué.

De votre côté, vous avez décidé de vous installer dans cette région…

Oui, depuis mon deuxième jour je suis tombé amoureux… Je n’avais pas d’endroit où dormir, j’ai rencontré quelques personnes et je leur en ai parlé, et après quelques verres je me suis retrouvé dans une chambre, avec de la musique congolaise qui jouait à fond dehors. Dès ce moment j’ai su que j’allais rester. Je m’installe donc au Kenya qui est un endroit stratégique pour un photojournaliste. Je peux me rendre facilement au Congo, au Sud du Soudan, en Somalie, en Ouganda, et en Tanzanie. D’ailleurs 2010 et 2011 s’annoncent comme des années importantes avec plusieurs élections importantes dans la région, dans des pays ou les régimes peuvent être considérés comme assez fragiles.

Sur quels autres reportages travaillez-vous ?

D’abord, c’est génial d’habiter au Kenya… Vivre en Afrique, plutôt qu’à Paris, fait qu’un jour tu te retrouves dans un avion à raser au dessus du maquis, puis le suivant sur une petite moto à essayer d’atteindre l’aéroport comme tout le monde. Malheureusement il y a des coupures d’eau et d’électricité presque tous les deux jours à Nairobi, mais ce genre de situation vous fait garder les pieds sur terre. J’ai notamment travaillé sur le flux de réfugiés et l’arrivée progressive de plus en plus de Somaliens au Kenya – il y a peu de contrôle aux frontières. C’est inquiétant parce que le Kenya est un pays assez stable. Je couvre également des sujets environnementaux comme le trafic illégal d’animaux ou d’ivoire.

© Dominic Nahr / Œil Public # 003 À Kabaya, près de Rumangabo, deux femmes profitent d'une accalmie dans les combats pour prendre leurs affaires personnelles et fuir. République démocratique du Congo. 18 octobre 2008.
© Dominic Nahr / Œil Public # 003 À Kabaya, près de Rumangabo, deux femmes profitent d’une accalmie dans les combats pour prendre leurs affaires personnelles et fuir. République démocratique du Congo. 18 octobre 2008.