Hamdoulah, ça va

Mohamed Bourouissa a la bougeotte. Au sens propre comme au sens figuré. Il change de place, marche, tourne sur lui-même, fume cigarette sur cigarette. Dans sa tête, aussi, le mouvement suit. Il n’est jamais là où on l’attend. Après s’être fait connaître en tant que photographe (surtout avec la série Périphérique), il a initié un projet mêlant photo et vidéo via le téléphone portable, Temps mort, présenté à la Biennale de Berlin et à la Galerie Kamel Mennour à Paris. Lui, qui dit aimer les « aspérités » et être à la recherche de nouveaux médiums comme supports artistiques, est aussi devenu commissaire d’exposition. Avec son amie Nabila Mokrani, qui travaille sur une thèse de sociologie sur l’entrée de l’islam dans l’art contemporain et s’est frottée aux montages d’expositions à Bamako, Alger et Paris, il a choisi six artistes qui lui sont proches, d’une manière ou d’une autre.

© Yasin Robert
© Yasin Robert
« Ce sont des personnes dont on suit le travail depuis longtemps, qui ne sont pas forcément intégrés dans le monde de l’art, parce que certains sont totalement autodidactes, et qui ont du mal à montrer leur travail », explique Nabila.

Ainsi, le visiteur est accueilli, dans cet espace collé à l’ancien squat artistique de la rue de Rivoli, à Paris, par la photo-installation de Ben Dhaou, « Tout sol » : des photos prises avec un téléphone portable, imprimées puis froissées et posées en tas sur le sol. On peut choisir d’en prendre une ou pas, de l’ouvrir. Ou pas… « C’est un peu la photo papier-cadeau », résume Mohamed. « Ben Dhaou m’a assisté sur certaines de mes mises en scène. Aujourd’hui, il travaille dans un resto, mais il a une intention artistique réelle. Cette installation parle de la manière de laisser une trace. » Alfa Eiko, qui vient du rap, a construit une maquette reproduisant la prison de Villepinte. « Une prison, un musée, un atelier, une table d’architecte ? Ou tout ça à la fois ? », s’interroge Mohamed.

D’autres ont une formation artistique, comme Yasin Robert qui, après une école d’art, s’est tourné vers le graffiti, avant de revenir à une peinture plus classique. Il montre ici des paysages de banlieue familiers (tours, voitures, usines…) en total décalage avec l’héritage pictural auxquels ils font référence. Massinissa Selmani, lui, a choisi d’évoquer, dans un petit film d’animation, Merouane, le jeune kamikaze algérien qui s’est fait exploser dans le centre d’Alger en avril 2007. Karim Kal, repéré par Nabila au festival panafricain d’Alger, lui, photographie le bois de Boulogne et les « traces » laissées par ceux qui y passent ou y travaillent…

Enfin, les compositions géométriques d’Alexis Masurelle, qui mettent en scène des armes, sont à la fois belles et effrayantes. Certains y verront une référence à l’art islamique, d’autres aux rosaces de notre enfance. « Il a une fascination pour les objets de mort.

Le bois 6, Paris, 2008 © Karim Kal
Le bois 6, Paris, 2008 © Karim Kal
En les démultipliant, ça devient beau, presque floral, note Mohamed. On se perd dans ses motifs. On perd ses repères. » C’est là toute l’ambition des deux commissaires : donner à voir des visions périphériques sur des sujets forts, comme la prison ou le terrorisme. « Ce sont des regards transversaux qui jouent avec le visible et l’invisible. Qui détournent la réalité. On voulait des choses fortes montrées avec subtilité et douceur », explique Mohamed. Nabila acquiesce : « Les artistes abordent des problématiques liées au réel sans tomber dans le spectaculaire ou le fictionnel. Le spectateur crée son propre champ mental à l’intérieur de l’œuvre. C’est pour ça qu’il n’y a pas de cartels, que l’accrochage est épuré. On ne voulait pas recréer une galerie ou un musée. »

Pour ce projet auto-financé, Nabila et Mohamed ont emprunté le titre de l’exposition à celui d’une chanson du rappeur La Fouine. « On l’écoutait en boucle et elle résume bien l’expo : on est dans l’urbain, les problèmes, la pression quotidienne… mais même si la vie est dure, on est encore là, vivants, pour la représenter. Hamdulah, ça va ! »

Hamdoulah, ça va 

Jusqu’au 23 octobre 2010-10-12

59, rue de Rivoli 75001 Paris

du mardi au dimanche de 13 à 20h

entrée libre