L’éveil des consciences

À travers les portraits de neuf citoyens, personnalités en vue et simples anonymes, le photographe Camille Millerand et le journaliste Simon Maro décrivent l’Alternance et dressent le portrait de la contestation au Sénégal.

Makhtar Fall dit « Xuman » – 37 ans – Rappeur

Pionnier du hip-hop sénégalais, Xuman sortait en 1999 avec son groupe Pee Froiss le titre « Ça va péter ! ». Un classique du rap galsen… toujours d’actualité. « Le pays était en ébullition », explique l’artiste. « À l’époque, nous les jeunes, on n’avait pas forcément de cartes d’électeurs, mais on avait des pierres. La jeunesse était prête à casser, à brûler des pneus, mais pas à voter. » Président depuis près de vingt ans après avoir été Premier ministre dix ans, Abdou Diouf, le successeur de Léopold Sédar Senghor, est un homme usé par le pouvoir. « Diouf avait montré ses limites. Les gens commençaient à en avoir marre de voir le même président faire les mêmes promesses. »

Xuman, 37 ans, est une figure importante du mouvement hip-hop au Sénégal.Ces textes parlent des difficultés de la vie quotidienne et dénoncent les abus du pouvoir. Cela fait 15 ans que la jeunesse sénégalaise reste fidèle à ces discours engagés et à son activisme citoyen. © Camille Millerand
Xuman, 37 ans, est une figure importante du mouvement hip-hop au Sénégal.Ces textes parlent des difficultés de la vie quotidienne et dénoncent les abus du pouvoir. Cela fait 15 ans que la jeunesse sénégalaise reste fidèle à ces discours engagés et à son activisme citoyen. © Camille Millerand

À la veille des Présidentielles, les rappeurs, conscients d’être des leaders d’opinion, se jettent dans la bataille et sensibilisent les populations. « On ne disait pas les choses parce ce que l’on voulait faire de belles rimes. Il fallait qu’on change les choses ! » Ils invitent la jeunesse sénégalaise à prendre son destin en main. « On a alimenté la contestation puis on leur a dit de voter. » Au soir du 1er tour, le sortant vire en tête avec « seulement » 41% des voix. Une première. « Au second tour, on a voté utile. » Le 19 mars 2000, la victoire d’Abdoulaye Wade met un terme à quarante ans de règne socialiste et soulève l’enthousiasme.

« Wade est venu. Il nous a promis que le coût de la vie allait baisser, que le taux de chômage allait baisser. On a senti un vent nouveau. Wade a eu deux années de grâce. Le Sénégal est parti à la Coupe du Monde. Le Sénégal devenait un pays émergent. On était euphorique, c’est ça la vérité. Et puis après, l’euphorie est tombée et l’on s’est retrouvé dans la dure réalité. L’évènement qui a fait s’évaporer le rêve c’est le naufrage du bateau Le Joola. » Le 26 septembre 2002, le ferry, qui fait la liaison deux fois par semaine entre Dakar et la Casamance, sombre au large de la Gambie. Bilan : plus de 2000 morts.

Des immeubles en construction comme ceux du quartier Sicap fleurissent aux quatres coins de Dakar depuis plusieurs années. L’opposition et certaines organisations de la société civile dénoncent la
Des immeubles en construction comme ceux du quartier Sicap fleurissent aux quatres coins de Dakar depuis plusieurs années. L’opposition et certaines organisations de la société civile dénoncent la

En ce début 2012, le pays se retrouve à nouveau plongé dans une atmosphère de fin de règne. « Je ne blâme pas Wade pour tout ce qui nous arrive. (…) Mais, Wade est coupable d’une chose : c’est d’avoir banalisé le mot « milliard ». Depuis que Wade est au pouvoir, les scandales sont de plus en plus importants. La manière dont l’argent est dilapidé, la façon dont le pays est géré, tout cela c’est la faute de Wade et c’est pour cela que les gens sont vexés. » Xuman dénonce l’enrichissement de certains proches du président et l’émergence d’une « classe de médiocres qui se sont retrouvés du jour au lendemain à la tête de fortunes colossales ». Le rappeur citoyen est donc reparti au front avec le mouvement « Y en a Marre ». « Au bout d’un moment, si l’on se rend compte que le nouveau régime ne tient pas ses promesses, si l’on se rend compte que l’on a été plus ou moins trahi, il est temps de faire valoir notre droit de vote et de montrer que nous sommes capable de changer les choses. Il faut aller sur le terrain et refaire le même travail. »