La route du Jazz de Samuel Nja Kwa

Focus sur le parcours singulier du photographe et journaliste, Samuel Nja Kwa autour du jazz.

Cette personnalité active de la scène de la photographie africaine, nous plonge dans l’univers du Jazz à travers son reportage dans les coulisses, dans les concerts des plus grands musiciens. Manu Dibango, Salif Keïta, Jimmy Scott, Liz Mc Comb ou encore Femi Kuti sont passés devant l’objectif de Samuel Nja Kwa.

Manu Dibango © Samuel Nja Kwa
Manu Dibango © Samuel Nja Kwa
Tu es à la fois photographe et journaliste, comment se partagent tes activités ?

Mes journées s’organisent en deux temps, le soir je photographie les concerts et la journée je peux exercer mon métier de journaliste et réaliser mes interviews. En général, les interviews sont des commandes (revue Planète Jeune, revue Creola,…). Elles sont programmées deux mois à l’avance donc c’est une question d’emploi du temps. Quand je sais qu’il y a un festival je me libère pour faire les interviews la journée et les prises de vues le soir. Parfois, les artistes ou les sociétés de productions me sollicitent pour réaliser les photos de pochettes d’album ou souvenirs de concerts.

En photographie, tu es spécialisé sur le Jazz, pourquoi ? Et depuis combien de temps ?

Au départ je n’étais pas spécialisé sur le jazz mais étant donné que je couvrais des festivals de musiques du monde, j’ai pu constitué un fond. Comme je suis journaliste, je me rendais sur les festivals où je réalisais des photos pour ma collection personnelle. Ainsi, je me suis rendu compte que peu de photographes africains travaillaient sur la thématique du jazz. J’ai donc décidé d’explorer la culture du jazz, son origine en tenant compte de l’Histoire des esclaves et ses racines africaines.


En 1996, j’ai rencontré Randy Weston, qui venait de sortir « African rythms ». Il m’ a expliqué que son jazz est de la musique d’esclaves, qu’il s’inspire des rythmes africains. Il m’a incité à exploiter cette thématique. Cette rencontre a été le déclencheur de ma réflexion sur ce travail. Je me suis rendu aux Etats-Unis, aux Antilles (dans les cases nègres) et en Afrique (à Gorée au Sénégal, sur les côtes du Cameroun oriental) sur les lieux de l’esclavage. Pour bien traduire cette histoire au public lors de mes expositions sur ce sujet, je présente des portraits d’artistes accompagnées de phrases fortes. Certains y expliquent leurs souvenirs de petits-fils d’esclaves. Les artistes ne revendiquent pas que le jazz soit reconnu comme musique africaine, ils mettent surtout en avant le fait qu’ils pratiquent une musique universelle.

Taj Mahal & Toumani Diabaté © Samuel Nja Kwa
Taj Mahal & Toumani Diabaté © Samuel Nja Kwa
Dans mes photos, je mets en avant les racines africaines du jazz tout en montrant qu’aujourd’hui chacun s’approprie cette musique selon sa culture.

As-tu un projet d’édition autour des tes photos sur le jazz ? Cela retracerait-il historiquement le jazz, son passé, son héritage et en particulier sa négritude ?

Cela fait plus de 4 ans que je souhaite éditer ce livre. Au départ j’avais rencontré un éditeur qui souhaitait éditer mon livre intitulé « route du jazz » mais cela était très coûteux et nous avons donc abandonné cette idée.

Je ne veux pas faire un livre historique, cela a déjà été fait, il en existe. Je veux surtout faire un beau livre, à la fois ludique et pédagogique. Une introduction rappellera le contexte de l’esclavage et survolera le contexte dès la naissance du jazz.

C’est plus pour raconter la connexion des musiciens avec l’Afrique. Je fais appel aux Américains, aux Africains, aux Cubains, aux Brésiliens, aux Péruviens, aux Antillais. Il s’agit surtout d’artistes noirs qui ont tous un lien avec l’Afrique. Dans ce projet, il y aura des textes qui feront écho aux portraits (portraits pris en coulisse ou chez eux). La parole est donnée aux artistes.

J’ai aussi un autre projet « Mandingo Blues », qui rassemble des images des musiciens de la zone de l’empire mandingue. Je me suis attaché aux personnes symboliques, aux têtes d’affiche les plus connues. 4-5 musiciens de chaque pays qui représentent la musique mandingue. « Mandinguo Blues » délimite la zone géographique mandingue à travers la musique ( Alpha Blondy en Côte d’ivoire, Ali Farka Touré , Salif Keita ou encore Oumou Sangaré au Mali, Youssou n’ Dour au Sénégal, Ba Cissoko en Guinée…).

J’ai déjà réalisé la maquette de ce projet et j’espère l’éditer prochainement. J’aimerais bien que ce livre s’accompagne d’une compilation de musiques mandingues.

pochette de Jay Lou Ava © Samuel Nja Kwa
pochette de Jay Lou Ava © Samuel Nja Kwa
Où réalises-tu tes photographies de concert, en France, en Europe, en Afrique où est-ce localisé ?

Je réalise mes photos partout . D’autres fois, Je me rends sur différents festivals comme le festival de Jazz d’Abidjan, où j’ai même exposé. Par exemple comme j’ai vécu à Montréal, j’ai pu couvrir plusieurs fois le festival de Jazz à Montréal . Là je viens de terminer de couvrir le festival du Jazz à la Villette à Paris. Mais les artistes aussi peuvent faire appel à moi. Par exemple, lorsque Archi Sheep est à Paris, je vais prendre des photos chez lui. Manu Dibango m’appelle aussi. J’ai eu l’occasion de faire une série de portraits de Marcus Miller, dans un show room, testant des instruments de musique.

Sur ton projet « route du jazz », travailles-tu en solo ou avec d’autres personnes ?

En solo…

En général les photographes de jazz travaillent seuls.

Tu réalises aussi des pochettes de disques, peux-tu nous citer quelques musiciens ou groupes avec lesquels tu as collaboré ?

J’ai travaillé avec Kristo Numpuby , musicien camerounais. Il fait de la musique Assiko, c’est de la musique bantou. C’est un ami d’enfance et je réalise désormais quasiment toutes ses photos.

J’ai aussi réalisé les pochettes de Coco Mbassi, une chanteuse camerounaise qui fait de l’ Afro Jazz, celle du guitariste camerounais Jay Lou Ava , de la Mauritanienne Malouma ou encore la pochette des Bantous de la capitale.

J’ai aussi été sollicité pour le coffret de  » St Germain and Herbie Ancock ».

En quoi le projet « la route du jazz » est-il plus que de la simple photographie de concert ?

J’essaie d’être le plus proche possible des musiciens. Je privilégie les photos backstage, plus intimes, où l’artiste est le plus naturel. Parfois je photographie les artistes sans leur instrument. Je privilégie l’homme, celui qui raconte le musicien.

Pendant les concerts, je prends peu de photos. J’observe le musicien, j’attends le bon moment. Nous avons tous des manies, sur scène, les musiciens développent les leur, il suffit juste d’observer et de les capter. Comme je travaille sans flash, il faut aussi que je trouve le bon angle, la bonne lumière.

Si je ne trouve pas ce que je recherche chez l’artiste, je ne fais pas de photos.

Francis Bebey © Samuel Nja Kwa
Francis Bebey © Samuel Nja Kwa
Tu organises différents évènements autour de la photographie en Afrique. Peux-tu nous en parler ?

J’essaie de collaborer avec les centres culturels français en Afrique. Par exemple, l’atelier avec le collectif Génération Elili en avril-mai 2007. Au départ je devais faire une exposition au CCF de Brazzaville en avril. Le directeur m’a proposé en plus d’organiser un évènement autour de la photographie. J’ai été contacté par le photographe Désiré Kinzenguélé, coordinateur du collectif, qui m’a demandé d’animer un atelier. Pour cet atelier j’ai mis l’accent sur l’écriture en relation avec la photographie. Au Congo, les jeunes savent faire des photos mais ils ont encore du mal à expliquer par écrit ce qu’ils font, à décrire leur travail.

La thématique était « Brazzaville au quotidien ». Il y avait 12 photographes, qui on travaillé en binôme et décliné des sous thèmes. Le matin, nous faisions des cours d’écriture et l’après midi c’était les prises de vues sur le terrain ! Un peu comme je travaille… (rires)

Lors de la première journée, nous avons sillonné la ville sans faire de photos, afin de trouver les sous thématiques. En est ressorti, l’handicap, la drogue, les traces de la guerre… Je voulais que ces photographes fassent des photos dans lesquelles le public puisse se reconnaître. Le vernissage, les jeunes furent ravis. Il y a vraiment une demande, les jeunes ont envie d’apprendre. C’était la première fois que je coordonnais un atelier, cela m’a beaucoup appris et m’a donné très envie de continuer. Par la suite je devais coordonner un atelier à Djibouti mais cela a été annulé à cause de la guerre.

Pourrais tu-travailler sur ta thématique en atelier ?

Le problème en Afrique c’est qu’il n’y a pas le matériel adapté pour réaliser des bonne photos de scène. Je travaille sans flash en poussant mes pellicules et ce n’est pas possible en Afrique. Sur scène il faut de bonnes lumières. Il est possible de faire un atelier sur les arts de la scène, mais il y a plein de conditions à remplir.

Tu as aussi présenté le collectif « Cameroon Connection » dans le 11e à Paris en 2003, un collectif constitué de 20 artistes de Douala. Pourquoi cette envie de présenter un panorama de la création contemporaine camerounaise ? Et ce projet a-t-il eu des suites ?

C’est un projet que j’ai mené avec Yann Queinnec , un avocat qui a vécu au Cameroun. En revenant en France, il avait ramené plein de tableaux et avait promis aux artistes d’exposer leurs oeuvres. Il s’agit d’un collectif de peintres. On cherchait un lieu sympathique pour faire découvrir des artistes africains. On a investi la rue Jean-Pierre Timbaud dans le 11e et on a présenté les tableaux grâce aux cafetiers, qui sont en associations. C’était l’été, ça tombait bien, l’équipe de football du Cameroun était en final de la coupe des confédérations. La rue Jean Pierre Timbaud a été bloquée et s’est transformée en rue piétonne ; j’avais invité pleins de musiciens. Il y avait un parcours, et les gens passaient de bars en bars…

Que penses-tu des politiques culturelles en Afrique, en particulier au Cameroun d’où tu es originaire ?

Je suis un afro parisien. Rires…

J’ai entendu parlé de Ferdinand Oyono , ministre de la culture camerounais jusqu’à l’année dernière.

J’ai essayé de le rencontrer sans succès. On ne peut pas réellement parler de politiques culturelles au Cameroun. Les principales actions culturelles sont initiées par des personnes ou des entreprises et non par l’état. Tout tourne surtout autour du foot ball et de la musique.

Amadou & Mariam © Samuel Nja Kwa
Amadou & Mariam © Samuel Nja Kwa
Il y a un seul musée au Cameroun, à Yaoundé. Il y a un seul musée au Cameroun, à Yaoundé. Je connais aussi celui de Foumban. Il y a quelques galeries d’art (des initiatives privées), mais Il n’y a pas d’actions spécifiques envers la photographie. Par contre l’état organise des festivals universitaires de peinture, sculpture, et musique avec des remises de prix. C’est souvent l’occasion pour certains de révéler leur talent caché.

Il n’y a pas d’école d’art ni d’école de journalisme mais il y a des cursus universitaires liés à l’histoire de l’art. Il n’y a pas de critique d’art non plus au Cameroun.

Il y a par contre plein de photographes de rue et de studio.

La plupart des grands photographes camerounais vivent en Europe.

Angèle Etoundi-Essamba vit à Amsterdam ou Bill Akwa-Bétoté vit à Paris. Aujourd’hui, certains plasticiens, plus particulièrement des peintres, se lancent dans la photographie ou dans la vidéo d’art. Je pourrais citer Hervé Yamguen qui a exposé pendant l’exposition « Nouvelles africaines » à l’ Espace Confluences à Paris, ou encore Guy Wouété qui a exposé à Apt avec la fondation Blachère…

Quels sont tes projets à venir ?

Au mois d’octobre, avec le festival du rire Tuseo à Brazzaville, je fais un atelier photo avec les enfants sur la famille.

Avec la Maison Selmer (fabricant d’instruments à vent), rue de la fontaine au roi, je vais exposer une dizaine de photo qui vont tourner pendant 6 mois.

En savoir plus :

La route du jazz
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