Les phantoms du fleuve congo

Photoquai 2013 présente le travail du Burkinabè Nyaba Léon Ouédraogo, « Les phantoms du fleuve congo ». En terme de style et d’images, il prend ici le contrepied de la série qui l’a fait connaître, « L’enfer du cuivre ». Dans celle-ci, il est question de flous, de lumières laiteuses, du soleil qui se perd dans la brume ou le couchant. Des nocturnes congolais orchestrés autour de la présence imposante, troublante, voire inquiétante du fleuve Congo. Le photographe a choisi de rester à Brazzaville et de documenter dans la capitale la vie quotidienne organisée autour de l’eau. La première image de la série, point de départ du travail, est celle des rapides, plantant tout de suite le décor : il sera question, de puissance mais aussi d’inquiétude dans cet « art-documentaire axé sur l’imaginaire et la raison », comme le définit le photographe.

De fait, il nous entraîne dans une promenade hallucinée entre rêve et réalité, où les têtes sont coupées et les rencontres fugaces. « Plus j’avançais dans mon travail et plus je perdais pied. J’avais vraiment l’impression de vivre au milieu de fantômes. Le fantôme, c’est la peur du noir, du vide. Là, c’étaient des fantômes vivants », explique Nyaba, qui a choisi d’utiliser l’anglicisme « phantoms », clin d’œil au récit littéraire de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, qui l’a inspiré. « Dans l’imaginaire collectif, en Occident, le fleuve Congo c’est la non-civilisation. Alors que j’ai découvert l’inverse. Il y une forte culture qui s’est développée autour du fleuve. Les jeunes l’ont dompté, en ont pris possession. »

© Nyaba Léon Ouédraogo
© Nyaba Léon Ouédraogo

Malgré cela, le fleuve charrie toujours ses mythes et ses mystères. Et le travail photographique est forcément irrigué par le mysticisme, les croyances, l’animisme. Il révèle la « tension entre le fleuve et les Congolais, la nature et l’homme ». « Dans ce projet, je voulais montrer une réalité en même temps que révéler des enjeux politiques et économiques. Montrer un Congo nouveau, contemporain. Le fleuve m’a beaucoup appris et notamment le fait que plus tu connais ton histoire, plus et mieux tu peux affronter la modernité. En Afrique, on a perdu et on est encore en train de perdre beaucoup de choses en rapport avec notre histoire. On pense que les choses du passé sont réservées aux anciens, c’est faux, ce sont des repères pour les jeunes générations. »

Natif du Burkina, pays sans fleuve, Nyaba a aussi ressenti un véritable choc en découvrant le fleuve. « C’est un travail qui m’a permis d’aller au-delà de moi-même. Une initiation pure. »

Images commentées

© Nyaba Léon Ouédraogo
© Nyaba Léon Ouédraogo

Il m’avait donné rendez-vous à 7h30 du matin et j’ai ri en voyant son haut féminin. C’était avant qu’il ne m’explique pourquoi il le portait… Mamiwata, l’esprit des eaux, n’aime pas les hommes et c’est pour se protéger qu’il porte un chemisier de femme. J’ai préféré ne pas montrer son visage car celui-ci renvoie immédiatement à une réalité.

© Nyaba Léon Ouédraogo
© Nyaba Léon Ouédraogo

J’ai pris cette photo car cela m’a semblé irrationnel de voir ce titre de journal, de réaliser que l’actualité arrive jusqu’au fleuve. Ce journal marque, date la photographie, qui est complètement en décalage avec la façon dont le marin est habillé. On le croirait tout droit sorti d’Au cœur des ténèbres de Conrad !

© Nyaba Léon Ouédraogo
© Nyaba Léon Ouédraogo

On pourrait penser que c’est une mise en scène, mais non. Il était 16h30 ce jour-là. J’étais avec l’un de mes amis pêcheurs, qui me raconte beaucoup d’histoires sur le fleuve et m’a initié en quelque sorte. Cet homme est arrivé, il a baissé son bonnet et il m’a dit « Je suis le Che Guevara du fleuve » et il a posé. J’étais en plein dans les fantômes du fleuve ! En Afrique, autant on a l’habitude de voir des enfants nus, autant il est difficile de capturer la nudité d’un adulte en photo.

Nyaba Léon Ouédraogo est l’un des trois lauréats de la Résidence hors les murs de Photoquai pour 2013, dotée d’une bourse de 15 000 euro et qui fera l’objet d’une exposition en 2015. Il a choisi de travailler sur le sujet de la sorcellerie au Burkina Faso avec la série qu’il a d’ores et déjà appelé « Les dévoreuses d’âmes », sur les femmes accusées de sorcellerie. Un sujet qui le poursuit depuis l’enfance : « A 10 ans, un de mes amis est décédé et on a accusé une femme de l’avoir fait mourir. Elle me faisait très peur ! Ces femmes sont chassées de leurs familles et de leurs villages, mises au ban de la société. Je veux les retransformer en femmes normales. »