Rencontre avec Shawn Davis autour du projet « Visual Griots »

© Visual Griots
© Visual Griots
Bibliothèque Nationale du Mali, lundi 20 novembre 10h du matin.

Nous avions pu admirer ce projet lors de la Biennale de Bamako 2005. Il était exposé dans les contours des Rencontres à l’Association Seydou Keïta.

La MAP a profité de la venue de Shawn Davis à l’occasion de l’inauguration de l’ambassade des Etats-Unis (où le projet « Visual Griots » est actuellement exposé) pour l’inviter à faire une conférence. Il y a quelques semaines nous avions écrit dans un billet que rien ne bougeait à la MAP. Nous sommes heureux d’avoir pu assister à une conférence invitant les professionnels du secteur de la photo malienne à se rassembler et à échanger autour du projet « Visual Griots » .

Une cinquantaine de personnes sont présentes. Le public se compose de plus de 90% de photographes maliens (les élèves du CFP entre autres).


Equipe du projet Visual Griots
Equipe du projet Visual Griots
Moussa Konaté (directeur de la MAP) ouvre la conférence en émettant le souhait que ce genre d’évènement se renouvelle afin que des débats se créent sur l’image. Comme vous allez pouvoir le voir, l’intervention de Shawn Davis a réussi à en créer.

Ce projet montre bien, à l’image de celui d’ Alioune Bâ sur le Sida, qu’au Mali des programmes se développent peu à peu se servant de la photo comme moyen de communication, d’apprentissage et de prise de conscience.

Tout le texte ci-dessous rend compte de l’intervention de Shawn Davis et des questions qui ont suivi celle-ci.

D’autre part, vous pouvez admirer la qualité du projet dans la galerie dédiée à celui-ci. Les photos ont été prises par les enfants et ce sont leurs propres légendes

Le rôle de la photographie dans le développement.

Août 96, cela fait donc 10 ans que je suis venu pour la première fois au Mali. J’ai été Volontaire de la Paix dans le plateau Dogon.

Je ne parlais pas leur langue. Mais grâce à mon album photo, j’ai pu communiquer avec les gens du village. La photo peut communiquer dans toutes les langues.

Actuellement, je travaille pour l’ ONG AED « The Academy for Educational Development » .

Je ne suis pas photographe vedette. Je suis quelqu’un qui croit que la photo a le pouvoir de réunir les gens, de contribuer à augmenter la prise de question de certaines questions. La photo permet de donner la voix à ceux qui ne peuvent s’exprimer autrement. 

Qu’est ce que la photo participative ? Comment peut-elle jouer un rôle dans le développement ?

L’utilisation de la photo est un outil dans la promotion et le renforcement des jeunes (qui représentent plus de la moitié de la population rurale). C’est le développement culturel communautaire.

Dans le projet « Visual griots » on voulait que les jeunes prennent conscience que le processus est plus important que le produit, il permet de trouver sa voix et de se rendre compte que tu peux réaliser quelque chose digne du regard des autres. Et pourtant le produit final est pas mal quand même !

Ce projet n’est pas une formation mais il s’agit d’être créatif entre membres de ta communauté. Ces projets peuvent être marche-pied pour d’autres, grâce à cela la jeunesse prend confiance en elle. 

Le projet « Visual Griots » :

© Visual Griots
© Visual Griots
C’est un projet international qui a pour vocation de promouvoir le développement culturel communautaire à travers la photographie.

Des ateliers interactifs équipent des jeunes à travers le monde pour communiquer ce qu’ils jugent être important dans leur vie et leur communauté, en utilisant un moyen artistique qui se comprend dans toutes les langues. Instituteurs, photographes, et leaders communautaires engagent les jeunes, à travers l’objectif d’un appareil photo, à s’exprimer, à avoir une image positive d’eux-mêmes, et à acquérir les sentiments d’estime et de confiance en soi. En Janvier 2005, 22 élèves dynamiques de la 6e année des écoles communautaires de Damy et de Kouwara (Cercle de Tominian) ont participé au premier atelier «Visual Griots ».

Une équipe habile de photographes maliens (Alioune Bâ et Amadou Sow) et américains (Nestor Hernandez, Shawn Davis, Sora DeVore) les a muni des techniques photographiques de base afin de rendre honneur aux habitants et aux traditions de leurs villages.

Les élèves ont vraiment pris en charge le projet et ont réussi à créer un ouvrage photographique qui démystifie le « village africain » et soulève les éléments importants de leur vie.

La Naissance du Projet : 5es Rencontres Africaines de la Photographie

L’idée de faire ce projet, qui visait la jeunesse malienne, est née en novembre 2003 lors des 5es Rencontres de la Photographie Africaine.

Nestor Hernandez, photographe américain et spectateur du festival, y a rencontré Jude THERA, le gérant d’une ONG malienne-;Association Vigne-;qui soutien les écoles dans la zone de Tominian. Mr. Hernandez a pu partir en mission avec Mr. Thera jusqu’à Tominian, où il a rencontré les villageois de Damy et Kouwara, et a mis en place les bases du projet Visual Griots. Revenu à Bamako, Mr. Hernandez a rendu visite à l’Association Seydou Keita, qui compte aussi parmi ses buts: aider les jeunes maliens à la création photographique.

C’était ainsi que Mr. Alioune Bâ, directeur de l’Association, et Amadou Sow de la Maison Africaine de la Photographie sont devenus partenaires.

Un an plus tard, en Novembre 2004, « The Academy for Educational Development » est devenu le partenaire financier et organisateur principal du projet.

Pourquoi le nom « Visual Griots » ?

Le souhait n’était pas de dire que la photographie pouvait jouer le même rôle de communicateur que les griots jouaient mais de souligner qu’il existe déjà au Mali, depuis très longtemps, une forte tradition artistique de communication de la communauté.

Le projet photographique participatif :

© Visual Griots
© Visual Griots
Les photographes deviennent formateurs et effacent la distance entre photographes et sujets. Les élèves apprennent en faisant.

Les élèves ne sont pas trop dirigés, il ne faut pas les limiter par des règles de composition.

Il est intéressant de voir comment les jeunes veulent être vus et regardés.

Les élèves ont d’abord suivi un atelier où ils ont regardé des images pour leur montrer qu’on pouvait raconter une histoire à partir de photos.

Ces enfants n’avaient jamais touché un appareil photo. Ils étaient intimidés par l’appareil. Mais ils ont travaillé un point de vue en binôme.

Les élèves réalisaient des photos la journée avec les formateurs et le soir chez eux; ils repartaient avec l’appareil pour travailler sans l’influence des formateurs.

Mais ce qui est important, ce sont les mots des jeunes après les prises de vues.

Les enfants et leurs paroles permettent à des spectateurs étrangers de comprendre la réalité de l’Afrique.

Les thèmes sont venus d’eux même, il n’y a pas eu besoin de les diriger. Tous les thèmes du développement sont venus seuls :
– la sécurité alimentaire.
– la tolérance.
– l’éducation.
– les droits des personnes handicapées.

Les enfants ont participé à la réalisation de l’exposition.

J’avais apporté du papier des USA pour faire des cadres mais Alioune Bâ a demandé aux enfants d’apporter des nattes pour que les enfants puissent réaliser des accrochages sans apports extérieurs.

Cela montre que quand on travaille avec des photographes maliens/ américains ou d’horizons différents cela enrichit le projet.

Avec les enseignants, nous avons expliqué les règles à respecter : par exemple le respect de celui qui ne veut pas être photographié etc…

Ce projet photo a été réalisé dans le but de le partager avec un public plus large, et non dans un but lucratif.

Nous avons expliqué, dès le début, l’issue de ce projet à tout le village et l’utilisation des photos. Les photos sont la propriété intellectuelle des enfants. Cela nous permet d’être honnêtes avec eux et envers nous-mêmes.

Les 3 phases importantes dans ce type de projet :

© Visual Griots
© Visual Griots
– au sein de la communauté avec la préparation, l’atelier en lui-même et les changements de comportement des participants. Cette étape se termine avec l’exposition dans le village.
– la deuxième étape est de montrer les images à un public plus large et de promouvoir, de partager ces images : à l’étranger ou dans le reste du pays (dans le cadre des 6èmes Rencontres). Faire tourner les expositions, les diffuser à la TV ou encore des projections publiques ou scolaires qui vont permettre que le regard sur l’Afrique change.
– La troisième étape est souvent celle que les gens oublient et elle est pourtant la plus importante : communiquer l’impact de ce succès aux étudiants, cela a un impact sur les étudiants, auteurs de ces images et sur leurs familles acteurs de ce projet.

Ce projet a eu un grand succès localement car il a fait la Une de l’Essor, il a été montré sur l’ORTM et des images ont illustré un article de Jeune Afrique.

Mais au niveau international, il a eu un gros impact: actuellement, le Smithsonian National Museum of Natural History à Washington accueille une sélection de 49 images de ce projet ! L’exposition va durer 7 mois et elle recevra plus de 2,5 M de visiteurs.

Cette exposition est dédiée à la mémoire de Nestor Hernandez , créateur du projet car il est décédé d’un cancer en avril 2006.

Amadou Toumani Touré , président du Mali, est venu la semaine dernière à Washington et a visité le Musée pour voir les photos.

Il s’est félicité de ce projet et de ces travaux. Il a souligné l’intérêt que les enfants américains comprennent comment vivent les enfants au Mali. Il a conclu « La photo parle mieux que la bouche » !

5 musées aux USA s’intéressent à cette expo ! Cela montre que cette exposition a eut un gros impact sur les américains.

Sébastien and Gnasian are dressed to go out. It's market day in Yasso.
Sébastien and Gnasian are dressed to go out. It’s market day in Yasso.
Mais je suis très fier car les participants des ateliers participatifs ont acquis un vaste éventail de compétences.

20 des 22 participants de ce projet sont passés au second cycle alors que depuis 6 ans aucun élève du cercle de Tominian n’avait réussi.

Et le 4 octobre l’école de Dami (école communautaire) est devenue une école publique.

Finalement ce projet a été un grand apport pour la communauté et pourtant nous n’avons pas amené de l’argent mais seulement de la volonté.

Questions :

Harandane Dicko, photographe malien (sortant du CFP) :

Des élèves ont-ils émis le souhait de devenir photographe dans le futur ?

Shawn : On ne sait pas ce qu’il va arriver lorsqu’ils vont travailler. Ils penseront peut-être à la photographie mais il n’a pas été prévu dans le projet de leur assurer un avenir dans la photo.

Je fais des demandes de subventions et, si j’ai la chance de refaire ce travail dans d’autres villages je le ferai, mais je souhaite développer les compétences des participants afin qu’eux-mêmes puissent être formateur lors des prochains projets.

Un photographe malien :

Pourquoi avoir travaillé avec des enfants des deux sexes ? Peut-on voir une différence entre le travail des filles et des garçons ?

Shawn Davis : La parité des sexes est importante. Les maliens distinguent une différence entre les photos des filles et des garçons à cause des sujets traités.

Amadou Sow : C’est un métier pour tous et il faut arrêter d’exclure les femmes !

Racine Keïta, photographe malien : Ce projet montre que la photographie peut être un moyen de communication, mais au Mali il faut attendre tous les deux ans pour qu’aient lieu des expositions, la photo ici n’est qu’alimentaire et on voit avec ce projet qu’elle doit servir à tous les niveaux.

Qui peut nous aider à organiser des expositions ? Quelles sont les structures qui peuvent nous financer ?

Amadou Sow : Les photographes doivent eux-mêmes chercher des financements. Il y a par exemple le PSIC qu’ils peuvent solliciter.

Racine Keïta : Mais il ne faut pas oublier que 90% des photographes sont analphabètes.

Jude Thera : L’image est le moyen le plus direct et le plus sincère pour s’exprimer. Le métier de photographe est un métier noble et efficace.

Les photographes expriment le souhait de se donner la main et de collaborer ensemble, ils estiment nécessaire de faire des séances de travail et des expositions ensemble.

Racine Keïta: Il y a 1000 photographes à Bamako et combien de professionnels ?

Conclusion de Moussa Konaté, directeur de la MAP.

Je suis très heureux car ce projet montre que la photo est une question de regard et qu’elle peut être un moyen d’expression.

Il est important que les photographes se réunissent et collaborent ensemble.