Egyptians

Nabil Boutros est l’un des grands photographes égyptiens contemporains. Depuis les années 90, son travail a mis en avant la communauté copte en Égypte mais s’est aussi attaché à peindre et à questionner un portrait contemporain d’une Égypte moderne haute en couleur.

A travers cette interview, nous revenons sur son parcours atypique fait d’aller-retour entre photo et scénographie. Nabil Boutros, nous y présente sa dernière série, Egyptians, constituée de 24 images où il interroge à travers les symboles vestimentaires l’ambiguïté de l’identité et les stéréotypes de la société égyptienne.

Peintre, scénographe, photographe…

Fabriquer des objets et des images a toujours été une préoccupation depuis mon enfance et c’est très naturellement je me suis tourné vers les Arts Décoratifs au Caire où j’ai étudié le graphisme, la calligraphie, la perspective et le volume. Lors d’un voyage en France j’ai été fasciné par la peinture classique. Sans grands moyens, j’ai décidé de continuer mes études à Paris en peinture.

Le décalage entre ce qui était enseigné aux Beaux-Arts de Paris, l’art contemporain et ce qui me fascinait dans la peinture classique était grand.
Cela ne m’a pas empêché de copier des tableaux au Louvre et au Jeu de Paume où, à chaque fois, j’ai eu le sentiment d’approcher l’esprit du peintre, de pénétrer la matière picturale. Ma préférence allait vers Rembrandt, Caravage, De La Tour et d’autres maîtres du clair obscur chez qui je me délectais de la profondeur de l’image et de la dramatisation théâtralisée.

Je parle de cela aujourd’hui car je me suis rendu compte combien ces préoccupations m’ont accompagné à travers les différentes pratiques artistiques.

Après mes études, j’ai eu l’occasion de peindre plusieurs décors et de concevoir des scénographies de théâtre. A la même époque j’aimais photographier des ambiances, des lieux où l’on sentait la présence humaine sans y voir de figure. J’aimais cette présence impalpable… Cela ressemblait à des scènes où quelque chose venait de se dérouler ou qui allait advenir.

Mon premier travail photographique était un retour en Egypte. Je voulais retrouver les gens et j’ai entrepris de les photographier sur leurs lieux où ils passaient le plus de temps. Ce travail réalisé entre 1990 et 92, a pris la forme d’une série de portraits en clair-obscur dans lesquels l’environnement faisait partie du personnage. Il a été exposé dans les Fnac entre 1994 et 1998.
Puis j’ai travaillé sur les fêtes populaires et la nuit, toujours en noir et blanc, en clair obscur. Même dans mes travaux documentaires, comme sur les coptes, je ne pouvais me détacher de cette notion magique qui laissait place à l’imaginaire, en dépit du constat supposé « réaliste » de la photographie.

Je continue mon travail de scénographe et de concepteur lumière soit pour le théâtre soit pour des expositions avec le sentiment d’utiliser juste un autre outil pour parler encore des lieux et du clair-obscur… En 2010 j’ai réalisé les scénographies et lumières des « Troyennes » à la Biblioteca Alexandrina, avec le metteur en scène égyptien Hassan el-Gueretly et du « Malade imaginaire » au Théâtre National du Yémen par le metteur en scène Adel Hakim, directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry.

Jusqu’en 2006, mes photographies contenaient des problématiques de peintre et de scénographe.
Depuis, mon travail photographique, en couleurs, porte plus un regard critique sur la société égyptienne avec les séries « Égypte est un pays moderne !» (2006) et « Égyptiens » (2010).

L’Égypte est un pays moderne !

Une question m’a toujours intrigué : pourquoi dans des pays comme Égypte veut-on absolument devenir «moderne» aussi bien dans les discours officiels, les médias que dans une opinion convenue ? Bien sûr, la modernité a changé de sens entre les années 60, on l’on s’inspirait entre autre du modèle soviétique et aujourd’hui où la modernité relève de standards globalisés. Mais ce souci permanent de devenir «moderne», sûrement lié au complexe d’un pays «en voie de développement», a parfois des allures de singeries. C’est avec un brin d’ironie que j’ai travaillé sur cette notion de modernité en Égypte.

Série L'Égypte est un pays moderne ! © Nabil Boutros
Série L’Égypte est un pays moderne ! © Nabil Boutros

Série L'Égypte est un pays moderne ! © Nabil Boutros
Série L’Égypte est un pays moderne ! © Nabil Boutros

Égyptiens / the suit makes the man

C’est mon travail le plus récent ; il est de la même veine que « l’Égypte est un pays moderne ».

Le point de départ était un agacement des symboles vestimentaires qui se veulent moralisateurs. C’est un travail sur l’identité avec ses ambiguïtés : une personne est-elle une entité permanente ? Changer de look correspond-il à un changement de facette ou s’agit-il de communication, un message adressé à son entourage ?

J’ai servi de modèle à ces photos, qui sont tout sauf des autoportraits. Poser moi-même comme modèle est une manière d’affirmer que c’est moi qui tient ce discours.

Le travail s’est étalé sur un an et s’est passé en plusieurs sessions qui correspondent au temps nécessaire aux différentes coupes de cheveux et barbes. Je me suis inspiré des gens que je rencontrais ou que je voyais dans les journaux en essayant de dégager des stéréotypes de la société.
Il y a aujourd’hui environ 24 images, légendées d’une simple lettre de l’alphabet.

Une partie de cette série a été exposée au Caire en décembre 2010. En réaction à l’attentat contre une église à Alexandrie fin décembre, un groupe d’institutions culturelles privées a choisi ce travail pour en faire un poster titré « Tous Egyptiens » et diffusé dans quatre grandes villes d’Egypte.

Série Egyptians, de gauche à droite de haut en bas, Egyptian A, Egyptian B, Egyptian G, Egyptian M, Egyptian R, Egyptian T  © Nabil Boutros
Série Egyptians, de gauche à droite de haut en bas, Egyptian A, Egyptian B, Egyptian G, Egyptian M, Egyptian R, Egyptian T © Nabil Boutros

Des ateliers photographiques

A côté des différentes activités artistiques, j’ai animé plusieurs workshops depuis 2000 en Egypte, Jordanie, La Réunion, Centre-Afrique, Angola et Yémen, aussi bien pour des professionnels, amateurs, journalistes que pour des lycéens et collégiens. Les contenus étaient divers comme : lecture de l’image, construire un sujet, réalité ou fiction…

J’annonce d’emblée que je ne suis pas là pour donner des recettes. Tout mon travail consiste d’abord à les sortir de leurs préjugés sur eux-mêmes et leur travail puis sur les autres à fortiori. Ce qui m’intéresse surtout c’est de mener les participants au plus près d’eux-mêmes, et lorsqu’ils acceptent de faire tomber les barrières de leurs habitudes, le résultat est surprenant.
Dans les pays arabes, je me débats avec la difficulté des participants à dire « je » ; il faut être en crise pour se révolter et oser se dire, s’exprimer.

La photographie en Égypte

Comme ailleurs, il n’y a pas une, mais des photographies. Je ne saurai pas parler de la photographie d’illustration ou de reportage.

En ce qui concerne la photographie comme médium plastique, depuis une dizaine d’années il y a des lieux qui peuvent l’accueillir ou qui lui sont dédiés. Même des galeries au Caire historiquement dédiées à la peinture comme Mashrabeyya s’ouvrent à la photographie. Il y a également la galerie Town House qui se consacre aux arts plastiques en général y compris la vidéo. Le premier festival photo a été monté avec Town House et la Galerie Karim Francis qui présente aussi des photographes régulièrement, même si le marché de la photographie en Egypte reste très limité.

Il y a eu surtout plusieurs initiatives liées aux arts visuels.

Le CIC (Contemporary Image Collective) au Caire existe depuis 2004. Il est dirigé par un collectif de photographes et journalistes : Heba Farid, Maha Maamoun, Paul Aboud Geday, Rana El Nemr et d’autres photographes de la nouvelle génération. Ce collectif s’est donné pour objectif de promouvoir l’éducation et le développement des pratiques artistiques avec, comme moyens, des expositions, des résidences, des publications et l’organisation d’ateliers et de conférences.

Depuis deux ans l’artiste Moataz Nasr a ouvert le lieu Darb 1718. Centre dédié aux arts plastiques dans le vieux Caire. Très actif, il cherche à promouvoir la création contemporaine ; il organise également des ateliers et des conférences et pour monter des expos, invite des commissaires tels que Simon Njami, Power Ekroth et bien d’autres encore.

Projets à venir.

Actuellement je commence un travail sur l’apprentissage et son rapport à la liberté de penser et de critiquer.

En 2011, sont prévus plusieurs ateliers photos en France et au Yémen, et la scénographie d’une pièce de théâtre. Je prépare également une exposition sur les Hammams dans la ville de Sanaa (Yémen) qui se tiendra à Paris et l’édition d’un livre sur le sujet avec le Centre Français d’Archéologie de Sanaa.

Série L'Égypte est un pays moderne ! © Nabil Boutros
Série L’Égypte est un pays moderne ! © Nabil Boutros

Série L'Égypte est un pays moderne ! © Nabil Boutros
Série L’Égypte est un pays moderne ! © Nabil Boutros