Guy Hersant : « Please do not move ! »

De Chateaubriant à Bamako en passant par Lorient, Kano, Libreville, Guy Hersant nous fait revivre son parcours de photographe.

Un travail documentaire dans la lignée de sa formation originelle de portraitiste, nourri de l’imagerie traditionnelle des studios français et africains, son travail de portraits de groupes  » Please do not move !  » nous racontent des histoires. Mêlant pose solennelle et imprévu, Guy Hersant nous emmène dans les dédales des villes, des usines, des rues et des ateliers à la rencontre des habitants et des travailleurs.

Livreurs en charrette. Bamako - Mali 2008 © Guy Hersant
Livreurs en charrette. Bamako – Mali 2008 © Guy Hersant

PARCOURS

Période initiale

J’ai fait un apprentissage dans un studio à Châteaubriant, dans mon pays d’origine la Loire- Atlantique. J’ai appris le métier dans la pure tradition, artisanale : l’éclairage et la prise de vue en studio, le labo noir et blanc ,la retouche, etc..

En 1970, j’ai travaillé une saison ou deux dans un très bon et ancien studio à la Rochelle, qui se situait dans la grande école du portrait de studio. Nous étions encore cinq ou six ouvriers à travailler. J’avais 20 ans, et le sentiment d’avoir suffisamment appris sur ce genre photographique, j’ai décidé de partir. Je venais d’un milieu rural et sédentaire, de mes rêves d’enfance j’avais gardé l’envie de voyager. J’étais très attiré par l’Afrique que j’avais découverte à travers des récits d’explorateurs comme René Caillié .


Cinq soeurs allant au marché de Mont-Bouët. Libreville - Gabon 2008 © Guy Hersant
Cinq soeurs allant au marché de Mont-Bouët. Libreville – Gabon 2008 © Guy Hersant
Période bamakoise

J’ai répondu à une annonce dans le journal professionnel Le Photographe, un photographe belge installé à Bamako cherchait un assistant. J’y suis parti.

Nous étions en 1971. Cela a été un véritable choc et un voyage initiatique : les odeurs, la vie, la musique, les escapades photographiques dans les quartiers, puis à l’intérieur du Mali. J’étais assez solitaire. En partant, je m’étais acheté un Rolleiflex neuf à Paris; j’allais mettre toutes les images de l’Afrique à l’intérieur ! J’ai d’abord découvert la difficulté de photographier les gens dans la rue, mais également mon propre malaise, mon inexpérience in situ. C’était excitant aussi. Ce travail était très différent de ma pratique de photographe de studio où venait se faire photographier une partie de l’élite bamakoise comme le footballeur Salif Keita.

Malick Sidibé était déjà dans son studio de Bagadadji, à Bamako, il venait à mobylette acheter son papier et ses produits au studio. Nous nous sommes retrouvés à la Biennale de Bamako lors de sa première exposition en 1994. Je ne connaissais pas son travail.

Au terme du contrat de 6 mois dans ce studio, je suis resté encore un mois pour voyager et photographier au Mali et à Dakar puis je suis rentré en France. J’ai fait une formation pour un an, dans une école de photographie à Colmar. Ensuite j’ai travaillé comme assistant dans deux studios en Bretagne.

Période bretonne

En 1975, j’ai créé mon propre studio à Lorient. Je me suis rapidement attiré la notoriété locale puis régionale « d’un bon photographe ».

Dans les années suivantes, je me suis beaucoup investi avec quelques amis photographes bretons dans le groupe Sellit qui était une sorte de collectif avant la mode mais sans la structure commerciale. Nous nous étions fixé pour mission de photographier la vie en Bretagne.

A partir du début des années 80, j’ai créé avec Sellit les  » Rencontres Photographiques en Bretagne « . L’idée était plutôt généreuse, il s’agissait d’organiser des rencontres amicales où nous invitions des photographes d’autres régions à exposer. Par la suite ces Rencontres ont connu une bien plus large audience, la galerie le lieu a ouvert en 1986 à Lorient.

C’était la période bretonne, durant laquelle j’ai continué de voyager. Il y a eu la Chine en 1978, 1979 et 1983. Les deux premiers séjours étaient une commande du Centre Pompidou pour le 30ème anniversaire de la Révolution chinoise. Et puis l’Afrique à nouveau, mon retour ému au Mali en 1982, des voyages personnels dans les pays de l’ouest, souvent alliés à des reportages de commande, sur les chemins de fer par exemple pour le magazine « La vie du rail ». Le train est un sujet formidable pour comprendre très concrètement beaucoup de choses sur le fonctionnement d’un pays.

En 1989, j’ai démarré une série de photographies que j’ai appelées « les routes du fleuve » et qui m’a conduit dans les quatre pays traversés par le Niger . Ce sont des photographies de paysage, du fleuve, de la vie dans les vallées ou dans les villes, des sources au delta.

Menuiserie industrielle. Libreville - Gabon 2008 © Guy Hersant
Menuiserie industrielle. Libreville – Gabon 2008 © Guy Hersant

On connait votre attachement à l’Afrique, entre autre vous avez été commissaire de Bamako dès son origine jusqu’en 2001, comment s’est traduit cette collaboration ?
Vous avez aussi entrepris un travail de défrichage et de reconnaissance de studiotiste africain, comment se sont passées ces recherches ?

Au fil de mes pérégrinations, j’avais souvent croisé et parfois photographié des photographes ambulants ou de studios, c’était un peu « ma famille » originelle : des photographes qui font commerce de leur art à usage d’une clientèle privée. En Afrique c’est encore plus sensible, les photographes ont une pratique économe de la photographie, il se dégage de cette pratique une esthétique très « fonctionnelle » descriptive, il y a un côté « inventaire » que j’aime beaucoup, les poses sont des portraits en pied ou en buste, le sujet occupe au maximum l’image, les prises de vues ne sont jamais doublées, etc. On retrouve cela même chez les plus grands.

Je me suis aussi intéressé au fonctionnement des labos photos montés souvent au départ par des asiatiques  et qui sont les « bases–arrières » d’ une génération nombreuse de jeunes photographes ambulants qui a éclos dans les années 1980, dans le sillage de ces laboratoires couleur au Togo, Bénin, Nigeria, Ghana, Guinée…et partout d’ailleurs.

J’ai rencontré un très grand nombre de ces photographes, ils m’ont montré leur images, surtout les invendues, des portraits surtout, des gens dans des scènes de vie que je n’avais jamais vues, et qu’aucun occidental, je crois, ne photographie. Malgré la qualité souvent mauvaise des photos, due aux appareils et souvent à l’absence de formation des opérateurs, j’ai découvert des images incroyables. Il y a dans ces photos inabouties, dont les négatifs sont sans espoir de pérennité, et qui n’ont d’autre destination que le patrimoine des familles, une richesse ignorée. Elles disent à leur manière, dans la forme et dans le fond, la société africaine d’aujourd’hui. Ces images dont certaines sont violentes ou morbides ont souvent un rôle exutoire ou pédagogique de prévention à l’usage des plus jeunes.

J’ai effectué ces recherches au Ghana, Togo, Bénin, Nigeria en 1998 et 1999 dans le cadre des Rencontres de Bamako. L’exposition des photographes ambulants et du nigerian Gabriel Fasunon, dont j’avais découvert le fonds en même temps, ont été présentées en 2001 à Bamako. J’avais collaboré aux éditions précédentes de la biennale depuis la première en 1994 en présentant les expositions du fonds Sily-photo dans la Guinée de Sékou Touré, les portraits coloriés à la main des photographes éthiopiens, la boxe au Ghana, etc…

La Photographie de groupe : « Please do not move ! »

J’ai terminé les séries autour du fleuve Niger en 1999 au Nigeria ou j’avais beaucoup photographié dans les grandes villes (Lagos, Onitsha, Port-Harcourt…). J’avais décidé d’aborder l’Afrique différemment avec la photo, de m’éloigner du reportage en noir et blanc et de revenir à une photographie qui s’accorderait davantage à représenter les personnes dans des endroits où je n’allais pas habituellement : des usines, des ateliers. Le travail est universel ; j’aimais l’idée de réunir des gens qui partagent une activité et passent beaucoup de temps ensemble, donc qui se connaissent bien et d’en faire un portrait collectif. C’était l’occasion aussi de passer à la couleur, dans le commun de la vie, en ne lui attribuant a priori aucune valeur esthétique autre que celle de rendre compte des couleurs. Mes recherches sur la photographie africaine, mes  rencontres avec les photographes avaient contribué à nourrir mes propres réflexions et désirs sur ce projet de portrait. Le dispositif technique retenu était le plus possible en adéquation avec le projet : la chambre sur pied, le film argentique et le format panoramique 6×12 pour des cadrages resserrés sans donner trop de place au décor. Rien de sophistiqué et de coûteux. L’opportunité  expérimentale fût Kano, grande ville et capitale de l’Etat du même nom au nord du Nigeria et qui venait d’adopter la charia. Je venais de Lagos, Jean-Michel Rousset, le directeur de l’Alliance française de Kano m’a invité pour deux semaines. Les projets, les mutations réussies sont souvent affaire de risque mais aussi de rencontres, de partage, d’amitiés. Ce fût le cas à Kano et il y avait une sorte de grâce à faire ce travail y compris avec les personnes que je photographiais, c’était des moments à la fois solennels et  joyeux. Chaque séance de pose avait sa part d’imprévu, et  chaque  photographie a son histoire ; c’est sans doute à cause de cela qu’elles ne sont pas installées dans un système, Au moment de déclencher je disais « please do not move! ». Les groupes sont des instantanés de portrait.Ce fut un grand plaisir de photographier tous ces gens. Ils étaient disponibles. Une exposition des  photographies a eu lieu à l’Alliance Française, et un livret a été édité.

Depuis 2001, je continue ce travail en France, dans différentes villes et régions grâce à des commandes ou des résidences artistiques. C’est seulement en 2008 au Gabon que j’ai pu réaliser à nouveau un travail conséquent en Afrique avec une résidence et une exposition au CCF de Libreville. L’an dernier je suis allé au Mali, et j’ai réalisé des portraits de groupe de travailleurs à Ségou et Bamako.

Les Koroso, groupe folklorique, musiciens et danseurs traditionnels :

Voilà un imprévu qui est rentré dans le cadre de la photo. Je voulais photographier Les Koroso, un groupe de musiciens et danseurs Haoussa et j’avais repéré ce lieu : un cinéma en plein air à  Kano.  Les gens assis aux premiers rangs étaient des responsables du service culturel de l’Etat de Kano. Ils étaient venus assister à la photo, par curiosité, pour voir comment je travaillais. Finalement, j’ai décidé de les laisser dans le champ et de les intégrer à l’image.

Musiciens et danseurs traditionnels haoussas. Kano - Nigeria 2000 © Guy Hersant
Musiciens et danseurs traditionnels haoussas. Kano – Nigeria 2000 © Guy Hersant

Usine textile Ila industries :

C’est l’image la plus inattendue de toute, le dernier groupe pris à Kano dans une très grande usine d’impression sur tissu.

Normalement, je fais toujours des repérages avant la prise de vue mais cette fois-ci je n’ai pas pu. J’ai donc commencé à faire des photos de groupe dans un atelier puis on m’a appelé et emmené dans cette allée au moment où se croisaient les ouvriers pour le changement d’équipes J’ai vu alors une citerne et m’y suis installé d’un bond avec ma chambre, et j’ai demandé aux ouvriers de se disposer face à moi. Les ouvriers qui me voyaient sur cette citerne se sont tous approchés pour la photo.
Usine d'impression de tissu. Kano - Nigeria 2000 © Guy Hersant
Usine d’impression de tissu. Kano – Nigeria 2000 © Guy Hersant

Portraits : mise en scène ?

Le dispositif de prise de vue est un peu solennel, presque rituel (en partie à cause de la perception que les gens ont déjà de ce genre photographique) ; il s’établit une certaine tension ou du moins « attention » qui est aussi une forme de connivence entre les personnes et le photographe. Chacun s’applique à la réussite de l’opération. C’est un moment fort  que je ressens pratiquement à chaque fois, également ici en France. Ces photographies de groupe peuvent être perçues comme des autoportraits collectifs. Je ne recherche pas une mise en scène sophistiquée, j’essaie de disposer les gens pour qu’on les voie individuellement mais je laisse chacun poser naturellement. Je peux corriger ce qui me semble excessif ou anecdotique, je recherche une certaine neutralité y compris, si possible dans la lumière, dans le choix du film et le traitement des couleurs au tirage.

Pour toutes les photographies – et c’est plus facile en France –  je fais en sorte que chaque personne du groupe reçoive un tirage en petit format (10×15 ou 13×18) de la photo, il est daté et légendé pour indiquer l’objet et le titre de la série. Cette restitution privée est  avec l’ exposition publique  partie intégrante de mon travail.

Une image que vous auriez aimé faire ?

Il y a avant tout beaucoup de portraits que j’aimerais faire, en France où je continue mon inventaire principalement autour du travail. En Afrique, j’aimerais pouvoir enrichir et diversifier dans différentes régions cette vision du continent à travers mes portraits. J’aimerais aussi que ces photographies y soient montrées, et que les africains puissent découvrir dans mon travail la part d’influence qu’il doit à leur propre photographie. J’aimerais aussi poursuivre le dialogue avec des photographes africains, comme à Libreville avec le collectif Igolini, au travers de rencontres ou d’ateliers.

Les gardes de l'Emir au Palais. Kano - Nigeria 2000 © Guy Hersant
Les gardes de l’Emir au Palais. Kano – Nigeria 2000 © Guy Hersant