La vie dans les eaux

À travers les portraits de neuf citoyens, personnalités en vue et simples anonymes, le photographe Camille Millerand et le journaliste Simon Maro décrivent l’Alternance et dressent le portrait de la contestation au Sénégal.

Cheikhou Camara – 31 ans – « Sénégalérien »

Le quartier s’appelle « Niety Mbar ». En wolof, cela signifie « les trois entrepôts ». Un nom qui rappelle qu’à une époque encore heureuse ces femmes de Pikine, l’une des principales banlieues de Dakar, avaient au moins un lieu où travailler. Mais, les entrepôts ont disparu. L’espoir aussi a foutu le camp.

© Camille Millerand
© Camille Millerand

« On vit mal ici, raconte Cheikhou Camara. Même ceux qui travaillent ne gagnent rien. Maintenant les gens travaillent pour survivre. Les gens d’ici gagnent au maximum 2.000 ou 3.000 F.CFA par jour (3 ou 4,5 €). Ça c’est du manger seulement. Quand les factures viennent, tu fais comment ? » Chômage de masse, pauvreté, insalubrité, la banlieue concentre tous les maux. À Niety Mbar, s’ajoute les inondations. Une bonne partie du quartier est engloutie sous les eaux. Ceux qui en avaient les moyens ont été relogés loin, très loin. Abandonnés à leur triste sort, les autres tentent de surnager au milieu des eaux vertes et putrides. Des eaux dans lesquelles plusieurs enfants se sont noyés.

Cheikhou vit avec sa mère et ses frères. Au total, ils s’entassent à quinze dans une petite baraque. « Regarde la route, il n’y a pas de canalisation. Les eaux viennent par là. Notre maison, on l’a remise debout quatre fois. Quatre fois ! L’eau vient, prend. On amène de l’argent, on achète des gravats, du ciment, on recommence. L’eau vient, prend. Les inondations, c’est ça qui nous a fatigué. Quand les pluies viennent, les gens ne dorment plus. On est obligé de mettre des sacs de gravats partout pour pouvoir se déplacer. C’est comme ça qu’on vit. Si tu es malade, tu ne te soignes pas. Tu as vu les odeurs, il n’y a que des maladies ici ! Le gouvernement ne fait rien pour les banlieusards. »

Teinturier de père en fils, Cheikhou Camara a longtemps vécu de petits larcins. Depuis un an, il s'investit dans la réhabilitation de son quartier. © Camille Millerand
Teinturier de père en fils, Cheikhou Camara a longtemps vécu de petits larcins. Depuis un an, il s’investit dans la réhabilitation de son quartier. © Camille Millerand

Cheikhou se sent d’autant plus trahi que la banlieue a longtemps été un bastion libéral. « Il fallait regarder les banlieusards à l’époque. Ils ont beaucoup fait pour Abdoulaye Wade. Ils ont saccagé pour Abdoulaye Wade. Ils se sont sacrifiés pour Abdoulaye Wade. Moi-même j’ai tout fait pour Abdoulaye Wade. (…) La politique est sale. Ils viennent vous acheter, vous donnent un sac de riz ou un bidon d’huile. Pour les élections, ils viennent avec un tee-shirt ou 1.000 F.CFA (1,5 €). Ils vont voir chaque famille. Tout ça, c’est à cause de la pauvreté ! Imagine, on vient chez toi. Tu n’as pas de quoi acheter à manger à tes enfants ou à ta mère. Tu vas vendre ta carte d’électeur contre 5.000 F.CFA (7,5 €). C’est ce que font les gens ici. » Mais, tout ça c’est fini assure le garçon.

Fier et allergique à l’oisiveté, Cheikhou répond à l’appel du mouvement « Y en a Marre ». Avec ses potes, ils s’organisent et effectuent quelques travaux dans le quartier. Malgré leurs faibles moyens, ils ont déjà pu réhabiliter une zone inondée à l’aide de sable et de gravats et reconstruire la chambre funéraire de la mosquée, envahie par les eaux. « Moi grand frère, je ne vis que des problèmes. Mais, Dieu est grand. Je respecte l’endroit où Dieu m’a mis au monde et je vais le porter jusqu’à ma mort. »

Chaque été, avec l'arrivée des pluies, Niety Mbar devient un enfer. En quelques années, l'accumulation des eaux a englouti une partie importante du quartier et chassé certains de leurs habitations. De nombreuses familles sont condamnées à vivre dans des maisons inondées.© Camille Millerand
Chaque été, avec l’arrivée des pluies, Niety Mbar devient un enfer. En quelques années, l’accumulation des eaux a englouti une partie importante du quartier et chassé certains de leurs habitations. De nombreuses familles sont condamnées à vivre dans des maisons inondées.© Camille Millerand

© Camille Millerand
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