wind of change

Photos: Fabrice Monteiro

Interviews: Pauline Lecointe

Ruyigi, octobre 2010.

Melchior Ndadaye, le premier président élu du Burundi, est assassiné le 21 Octobre 1993, cinq mois après son élection. Très vite la répression et
les représailles déchaînent des violences entre les deux principales ethnies du pays, les Hutus et les Tutsis.

Le 22 octobre 1993, des groupes armés atteignent les collines de Ruyigi, province située à environ quatre-vingt kilomètres à l’est de Bujumbura.
Marguerite Barankitse, dite « Maggy », d’origine tutsie se réfugie à l’évêché de Ruyigi pour protéger ses amis et les enfants hutus qu’elle a adoptés
après les premiers massacres de 1972. Le matin du 24 octobre, l’évêché est attaqué et Maggy assiste à l’assassinat de soixante douze de ses
amis.

Elle sauve vingt-cinq enfants avec qui elle fonde la Maison Shalom. Elle leur apprend à grandir dans le respect de soi, loin de la haine de l’autre.
Elle ne voulait pas créer un orphelinat, chaque enfant est réinséré dans une famille ou dans une maison fratrie, une « famille reconstituée » où
plusieurs enfants vivent accompagnés d’une éducatrice. Qu’ils soient orphelins de guerre, du sida, nés en prison ou tout simplement désemparés,
ils trouvent auprès de Maggy les trois piliers qui leurs permettront d’être des adultes accomplis et parfaitement autonomes : l’education, la santé et
un environnement familial. Depuis sa création, Maggy a accueilli et accompagné vingt mille enfants et adolescents de toutes les ethnies du pays.
Aidée par plus de cent vingt personnes, elle oeuvre activement pour la construction d’un avenir durable pour tous ces enfants.

Cette série nommée « Wind of change » (Vent du changement) rend hommage à Maggy dont l’énergie, la sagesse et l’audace ont permis de redonner espoir à une jeunesse blessée. Maggy ne se contente pas de répondre à l’urgence, elle a une vision pour le futur de ces enfants davantage
globale et pérenne. Elle encourage l’agriculture et l’élevage biologique, elle met en place une coopérative et une pépinière. Elle gère un hôpital
moderne pour soigner les burundais sans distinction sociale ou ethnique et tente de mettre en place une mutuelle pour que chacun puisse être
parfaitement responsable et autonome.

Une vingtaine « d’enfants » de la Maison Shalom a participé au projet, chacun a déterminé le lieu de la prise de vue et a raconté son histoire et ses
projets. Ce reportage photographique souhaite contribuer à la diffusion d’une image positive et constructive de l’Afrique.

Tout au long du texte, vous trouverez entre parenthèses la signification
des noms de famille de toutes les personnes citées. Au Burundi, on
héritait traditionnellement du nom et du métier de son père. Mais si le
père avait des antécédents, on devait les assumer tout au long de sa
vie. Pour conjurer le sort, chacun choisit aujourd’hui le prénom et le nom
de famille de son enfant.

En kirundi, on dit « izina niryo muntu » (Le nom c’est la personne), il
reflète la personnalité. Très souvent, il est connoté à Dieu car dans la
société burundaise, ont dit que : « Dieu prend tout ce qui lui appartient,
Dieu contrôle tout ».

Marguerite BARANKITSE (On m’en veut), dite « Maggy ».

Maggy, devant la tombe où reposent ses amis assassinés le 24 octobre 1993 à l’évêché de Ruyigi. © Fabrice Monteiro
Maggy, devant la tombe où reposent ses amis assassinés le 24 octobre 1993 à l’évêché de Ruyigi. © Fabrice Monteiro
54 ans, née en 1956 à Ruyigi.

Présidente et coordinatrice de la Maison Shalom.

Avant l’arrivée des Belges, mon grand-père, Jean-Paul MUSHUNGU, était l’un des grands chefs de la Région. Il nous mettait en garde contre les colons qui lui avaient fait perdre sa place de chef. Il nous apprenait à verser de l’urine sur le café et les patates douces, cultures importées par les belges, afin que rien de ce qu’ils nous imposaient, ne pousse sur nos collines. Il refusait d’être asservi. Il raffolait des allégories, celle du sorgho m’a particulièrement marquée : « il faut se comporter avec les colons comme lors de la préparation de la bière de sorgho, quand on trie les graines sur le tamis, il ne faut garder que les bonnes et laisser les mauvaises sinon, elles gâtent toute la bière ».
Il a eu six femmes et quinze fils, dont mon père. Sa maman n’a eu qu’un seul enfant, elle ne souhaitait pas se marier si jeune avec un homme qui lui avait été imposé. Un jour, elle a confié mon père à une grande tante pour aller au marché, elle n’est jamais revenue.

Mon père décède à mes cinq ans. Lors de mon inscription en secondaire à Bujumbura, au sein du lycée Clarté Notre Dame tenue par des religieuses
belges, c’est mon grand-père, un homme très protecteur, qui m’emmène à l’école. Pour garder la mémoire de son fils, il m’inscrit sous le nom de
mon père, BARANKITSE (On m’en veut). Depuis ce jour, je n’ai plus jamais utilisé mon nom de naissance, Margueritte HABONIMANA (Dieu qui
veille). Mon grand-père voulait que tout le monde aime la terre et soit digne, chacun de ses enfants avait une maison au sein de sa propriété et des
terrains pour cultiver. Il est décédé quand j’étudiais à Bujumbura, j’ai eu le sentiment qu’une encyclopédie disparaissait. A sa mort, chacun de ses
fils ainsi que ma mère, Thérèse NTAMAGIRO, ont reçu en héritage, un terrain sur la colline familiale. Elle y a construit une maison, les autres fils
se sont pour la plupart déchirés et ont déménagé.

A la fin de mon secondaire, j’intègre l’école normale de Rusengo. J’avais déjà beaucoup de tempérament. Je suis renvoyée en 1986 pour avoir
monté et joué une pièce de théâtre qui critique le gouvernement. On me taxe d’être mal élevée. J’écris au Ministère de l’éducation pour demander
ma réintégration et j’enseigne à nouveau.

Je me rends de nombreuses fois en Europe. Quand je reveins de Suisse en 1989, je travaille comme secrétaire à l’évêché. Je construis une petite
annexe à la maison familiale puis j’apporte de l’eau et un groupe électrogène. Fidèle à la tradition d’hospitalité de ma maman, j’adopte sept enfants
hutus et tutsis pour la plupart orphelins des événements de 1972.


Lysette IRAKOZE (Dieu merci).

Lysette, dans les collines de Ruyigi. © Fabrice Monteiro
Lysette, dans les collines de Ruyigi. © Fabrice Monteiro
22 ans, née en 1988 à Ruyigi.
Secrétaire de direction de la Maison Shalom depuis septembre 2009.

Quand la crise éclate à Ruyigi en octobre 1993, j’ai cinq ans et ma soeur, Lydia AKIMANA (Ce qui appartient à Dieu) n’a que deux ans. Nous nous
réfugions à l’évêché avec Maggy avec qui mes parents sont amis de longue date. Mon père, Cyprien NDIMURWANKO (Je suis dans la haine) est
un médecin d’origine hutue. Ma mère, Juliette BIGIRIMAMA (C’est Dieu qui fait), d’origine tutsie, est infirmière. Lorsque les militaires attaquent
l’évêché, ils sélectionnent tous les Hutus pour les tuer. Maman décide de rejoindre le camp des Hutus pour mourir avec papa. Avant de partir,
elle fait promettre à Maggy de s’occuper de nous comme de ses filles. Maggy tente de nous réinsérer chez des tantes de la famille mais elle me
retrouve très affaiblie par une sérieuse anémie due à une crise de paludisme mal soignée et à une mauvaise alimentation. Depuis l’assassinat de
mes parents sous mes yeux, je déclenche des allergies alimentaires à la viande rouge et aux produits laitiers. Je pourrais essayer de me soigner
mais je devrais reparler des événements avec précision et je n’ai pas envie de me remémorer des images que j’ai sorties de ma tête. Après cet épisode,
Maggy nous récupère et s’occupe de nous comme de ses enfants. Lydia étudie au Lycée belge de Bujumbura et je travaille provisoirement
comme secrétaire particulière de Maggy. Je suis diplomée de l’école secondaire et je devrais bientôt intégrer une université canadienne en section
« administration de bureau commis » afin de devenir « parajuriste-adjoint » et accéder ensuite à une spécialité en « droit international ».
Je rêve de réussir mes études et de trouver un travail qui me permettrait de continuer à transmettre le message de la Maison Shalom. J’aimerais
aussi rencontrer un homme exceptionnel pour fonder une famille.
Quoiqu’il vous arrive, ne vous laissez pas abattre, il y a toujours des bonnes choses qui vous attendent quelque part.


Amatus HAKIZIMANA (C’est Dieu qui sauve).

Amatus, dans les couloirs de l’hôpital REMA. © Fabrice Monteiro
Amatus, dans les couloirs de l’hôpital REMA. © Fabrice Monteiro

30 ans, né en 1975 à Gishubi, Province de Gitega.

Cadre infirmier, service pédiatrie et médecine interne à l’hôpital Réma.

Célibataire, un enfant adopté :

  • Irumva (Dieu entend) BILLY LIBERTE, 18 mois.

Il a été abandonné à deux mois par sa maman, prostituée et séropositive. Son premier test VIH est négatif.

Mon père est tué pendant la crise de 1993. Ma famille se réfugie dans un des camps de déplacés de la région mais ma maman, une cultivatrice,
ne peut subvenir à nos besoins sans terre. Elle décède en 1998.
Je termine mon cycle secondaire puis je dois travailler en tant qu’enseignant au Lycée de Ruyigi afin que mes trois petites soeurs terminent leurs
études. Mon salaire d’environ trente euros mensuels ne permet pas de satisfaire nos besoins nutritionnels, vestimentaires et scolaires.
Nous sommes appuyés financièrement par le pasteur de l’église pentecôtiste mais il est assassiné avec le mari de ma grande soeur, en 2001,
par le mouvement rebelle « CDNN-FDD ». La situation financière devient très difficile à gérer. Je rencontre Maggy et la Maison Shalom met une
maison à notre disposition, paie les frais de scolarité et l’alimentation de base. Je réintègre l’Université privée de Ngozi où j’obtiens une licence en
Sciences de la Santé. Mes neveux étudient tous éaglement.
J’espère me marier très bientôt avec ma fiancée rencontrée pendant mes études et qui vit actuellement à Bujumbura. Je rêve de construire une
maison et de continuer à travailler pour prendre en charge ma famille ainsi que d’autres enfants dans le besoin.
Je suis fier d’avoir rencontré Maggy car sans elle, mes efforts auraient été vains et mon parcours sans résultat. Je suis devenu un homme capable
d’affronter les problèmes de la vie.


Pascasie IKURAKURE (Dieu sauve du pire).

Pascasie, dans son bureau de l’hôpital REMA. © Fabrice Monteiro
Pascasie, dans son bureau de l’hôpital REMA. © Fabrice Monteiro

30 ans, née en 1980 à Nyange, Commune de Butaganzwa, Province de Ruyigi.

Assistante sociale à l’hôpital Réma.

Mariée, deux enfants :

  • Irera Don key (Dieu est parfait), 3 ans ;
  • Iteka (Dignité), 4 mois.

Le 24 octobre 1993, mes parents sont assassinés et on me mutile l’index droit. Je suis accueillie par Maggy qui me dit : « soit à l’aise, chante,
danse ».
A seize ans, je réussis le concours national mais échoue en première année, une hospitalisation de trois mois pour paludisme m’empêche de me
rendre aux examens. J’étudie au lycée pédagogique de Ruyigi puis je suis une formation d’assistante sociale pendant une année.
Je commence à travailler à vingt-quatre ans auprès de la Maison Shalom en tant que responsable des enfants du centre de Gisuru « L’Oasis de
la paix » avant leur réinsertion chez des parents ou dans des familles d’accueil.
Aujourd’hui, j’accueille les patients en difficulté de l’hôpital Réma en les accompagnant dans leurs démarches financières auprès du siège social
de la Maison Shalom. Je m’occupe notamment des enfants qui ont perdu leurs parents en bas âge et qui ont besoin de lait ou de soins.
En 2004, je rencontre mon mari qui est originaire de Bujumbura mais qui travaille à Ruyigi comme gestionnaire pour la GTZ, la coopération allemande.
Nous vivons dans notre maison construite avec l’aide d’un prêt d’une banque burundaise.
J’espère que la vie va ainsi continuer autour de ma famille, j’aimerais un troisième enfant. J’aime mon travail, ça me rend heureuse de parler avec
les gens et de les aider.


Fratrie de Murehe, maison construite en 2000.

Joséphine, dans la maison fratrie de Murehe avec six des enfants dont elle s’occupe. © Fabrice Monteiro
Joséphine, dans la maison fratrie de Murehe avec six des enfants dont elle s’occupe. © Fabrice Monteiro

Joséphine BARANDAGIYE (Les hommes me surveillent), 55 ans, née en 1955, éducatrice.

Je suis au côté de Maggy depuis le 23 octobre 1993 et je suis responsable de cette fratrie depuis dix ans. Auparavant, je m’occupais des enfants
à la « Casa della pace », un ancien centre de la Maison Shalom.

Rebecca NIMBONA (Dieu me voit), 14 ans, née en 1996, élève à l’école primaire.

Arrivée à la Maison Shalom à deux ans, les recherches familiales permettent de retrouver ma famille à Ruyigi. Une maison est construite pour
nous accueillir avec mes cinq frères et soeurs mais n’ayant pas le même père que les autres, je suis rejetée de la famille. Je viens d’arriver dans
la fratrie de Murehe. Je rêve d’être médecin.

Antoine NSENGIYUMVA (Je prie en Dieu qui entend), 15 ans, né en 1995, élève à l’école primaire.

Ma maman est malade mentale, je n’ai jamais pu être réinséré dans ma famille. J’arrive bébé à la Maison Shalom et je connais déja plusieurs
fratries. Je suis dans celle de Murehe depuis près de quatre ans. Je rêve aussi de devenir médecin.

Carmel NDUWIMANA (J’appartiens à Dieu), 13 ans, né en 1997, élève à l’école primaire.

Arrivé en 2003 de l’orphelinat de l’ONG « Terre des hommes », je suis réinséré dans une première fratrie. Au départ de l’éducatrice, la fratrie est
fermée et je rejoins celle de Murehe. Je rêve de devenir ingénieur agronome.

Martine NIKEZWE (Que Dieu soit loué), 8 ans, née en 2002, élève à l’école primaire.

Ma maman est sourde-muette, elle vit dans l’enceinte de la maison de Maggy mais elle n’arrive pas à s’occuper de nous. Elle ne se rappelle pas
qui est mon père ni celui de ma soeur. Je suis l’ainée et je vis dans la fratrie de Murehe et Délice, ma petite soeur de deux ans vit chez Maggy en
attente d’une adoption.

Guenard IGIRANEZA (Dieu fait du bien), 7 ans, né en 2003 , élève à l’école primaire.

Je suis né à la Maison Shalom, ma maman est une ancienne fille de la Maison Shalom, elle est infirmière mais ne s’occupe pas de moi. Je suis
réinséré dans une première fratrie puis, il y a deux ans, je suis transféré à Murehe.

Boaze NIYONYISHU (C’est Dieu la réponse), 6 ans, né en 2004, élève à l’école maternelle.

Un jour, ma maman me confie à la Maison Shalom pour la journée mais ne revient jamais. Les recherches familiales n’aboutissent jamais et les
trois tentatives de réinsertion échouent, je suis systématiquement ramené à Maggy pour « bizarrerie ». Je rêve de devenir planteur de feuilles de
lenga lenga (feuilles composant la base de la sauce feuille).


Jocelyne NTABARESHA (Chacun est unique), dite « La philosophe ».

Jocelyne, dans sa maison construite par la Maison Shalom. © Fabrice Monteiro
Jocelyne, dans sa maison construite par la Maison Shalom. © Fabrice Monteiro


36 ans, née en 1974 à Butezi.

Aide comptable à l’hôpital Réma.

Mes parents sont handicapés suite à une épidémie de lèpre frappant la région. Mon grand frère, qui gérait la famille, est tué pendant la crise de
1993. Je me suis occupée de mes parents et des enfants de mon frère. Avec l’aide des frères franciscains, je réintègre l’école, je suis la seule de
la famille à avoir étudié.

Maggy me prend sous son aile pour m’aider à poursuivre mes études universitaires. J’étudie la fiscalité à l’Institut Supérieur de Commerce pendant
cinq années universitaires. Tout en préparant un mémoire sur les recettes fiscales, je suis stagiaire auprès de l’ONG américaine « Search
for Common Ground ». A l’obtention de mon diplôme, je suis recrutée par l’ONG en tant qu’assistante logistique, débauchée après l’arrêt d’un
financement puis reprise en tant qu’assistante administrative sur une nouveau projet. Je suis aussi bénévole pour l’ « Association pour les droits
de l’homme et les personnes détenues ». Comme je ne travaille plus vraiment à Bujumbura car le projet de l’ONG ne reçoit plus de financement,
Maggy me propose une place de comptable à l’hôpital de Ruyigi. Je signe mon contrat en mars 2010. Après plusieurs années à la capitale, j’ai
un peu de mal à me réadapter à la vie à Ruyigi, mais je partage aujourd’hui une maison avec deux jeunes infirmières de l’hôpital et j’apprends à
nager à la piscine de la « Cité des Anges ». J’aimerais venir étudier à l’étranger dans une école de « management ». Il faudrait aussi que je trouve
un mari mais c’est difficile de trouver quelqu’un pour la vie. Je rêve tellement de découvrir d’autres pays que j’ai peur de me retrouver bloquée
ici. J’aimerais bien voir toutes les belles choses qu’il y a en Europe et puis j’aime bien être en compagnie des « Blancs ». Maggy m’a permis de
trouver ma vie, elle m’a aussi appris à bien m’habiller et accorder mes vêtements, elle dit que : « ce n’est pas parce que l’on est pauvre que l’on
ne doit pas prendre soin de soi ».


Mathilde HABONIMANA (C’est Dieu qui voit). / Carine SINDIHEBURA (Je ne me suis pas encore découragée).

Carine, Claudine et Mathide au cinéma de la « Cité des Anges ». © Fabrice Monteiro
Carine, Claudine et Mathide au cinéma de la « Cité des Anges ». © Fabrice Monteiro

Mathilde HABONIMANA (C’est Dieu qui voit).

22 ans, née en 1988 à Bujumbura.

Élève en secondaire.

Je suis contaminée depuis ma naissance par le VIH, ma maman était séropositive. Je suis recueillie par l’orphelinat des « Soeurs Calcutta » à l’âge
de trois ans. Il y a quelques mois, je deviens majeure et je dois quitter l’orphelinat. Je pars avec Linka dont je m’occupe depuis son arrivée chez les
soeurs. Sans ressource ni métier, je suis accueillie, scolarisée et suivie médicalement par la Maison Shalom. Je vis pour le moment dans la maison
de Maggy mais nous devrions nous installer bientôt dans une maison fratrie avec Linka. J’ai des hauts et des bas, ça varie avec les crises dues à
la maladie mais quand je reviens à la maison, je me réconforte avec les autres filles. Je veille sur Linka comme une maman. Plus tard, j’aimerais
devenir médecin.

Carine SINDIHEBURA (Je ne me suis pas encore découragée).

19 ans, née en 1991 à Bujumbura.

Etudiante en école technique et médicale.

En 1998, à la mort de mes parents, je suis accueillie, avec mes trois frères et soeurs par l’ONG « Terre des hommes ». En 2001, nous sommes
transférés à Ruyigi sans que l’on ne sache vraiment pourquoi, je suppose que l’ONG fermait le projet. En 2003, mon frère âgé de vint-deux ans,
décède du VIH. Mes deux soeurs de vingt et quinze ans retournent étudier à Bujumbura et vivent à « Amani Housem », une antenne de la Maison
Shalom. Moi, je reste à Ruyigi car je veux étudier à l’école médicale et celle de Bujumbura est trop coûteuse. Mes soeurs me manquent, je voudrais
dire aux gens qu’il ne faut jamais renier la famille.
Je rêve d’être médecin, d’avoir un bon boulot pour avoir une bonne vie et aider les autres enfants.


Mathieu NITUNGA (C’est Dieu qui éduque et protège).

Mathieu, dans son champ de maïs. © Fabrice Monteiro
Mathieu, dans son champ de maïs. © Fabrice Monteiro
23 ans, né en 1987 à Ntega, Province de Kirundo.

Lors des conflits inter-ethniques de 1988, mes parents sont assassinés. Récupérés par un curé avec mon grand frère, nous sommes adoptés
par deux familles différentes. En 1993, quand la crise éclate, ils fuient et nous abandonnent. Nous occupons pendant quatre mois le chantier
d’un hôpital en construction où des frères franciscains italiens nous apportent à manger. Nous sentant en danger, nous nous réfugions dans le
camp de déplacés de Butezi. Sept mois après notre arrivée, la rébellion attaque le camp, on demande alors une place à la « Casa della Pace »,
centre d’accueil construit par la Maison Shalom. Nous sommes réinsérés chez un oncle mais c’est un échec, nous n’arrivons pas à nous faire
accepter car cela fait trop longtemps que nous ne vivons plus dans cette région.

Avant de partir, nous vendons tout ce qu’il est possible de vendre de la maison construite et équipée par Maggy. Malgré cet écart, elle ne nous
abandonne pas et nous intégrons le centre « Oasis de la Paix » de Gisuru, une antenne de la Maison Shalom située à l’Est du Burundi. Ensuite,
j’habite une maison fratrie où je fais de mauvaises rencontres avec des jeunes délinquants de Bujumbura. Je suis accusé de vol de haricots
puis de vol de cuvette de toilette dans la maison en construction d’un médecin. Je suis condamné à dix mois de prison au total. Même si je
reconnais avoir souvent volé pour manger, je ne suis pas l’auteur de ces deux accusations. A ma sortie de prison, je me présente au tribunal à
plusieurs reprises pour être jugé mais la partie adverse est toujours absente et je suis blanchi. Je ne vais pas vraiment à l’école et c’est difficile
de repartir sur les bancs pour étudier quand on a déjà gagné de l’argent. J’apprends à fabriquer le sel d’élevage pour les vaches, ça peut me
rapporter deux à trois euros par jour. Je casse aussi des pierres pour les constructions, je peux vendre jusqu’à un tas à huit euros par jour. Je
rêve de monter un projet d’agriculture car la guerre a appauvri les paysans. Je maîtrise les techniques de transformation du sel et d’apiculture.
Comme je n’ai pas de moyens pour démarrer, je voudrais y aller étape par étape, commencer par un poulailler pour pouvoir ensuite acquérir
des chèvres et puis acheter des vaches. Je commence à planter du haricot et du maïs, et j’espère qu’un jour, je pourrais me présenter avec
mes propres vaches.


Abel MASUMBUKO (Malheur).

Abel, au pied de la cathédrale de Ruyigi. © Fabrice Monteiro
Abel, au pied de la cathédrale de Ruyigi. © Fabrice Monteiro
21 ans, né en 1990 à Bubanza.

Etudiant en troisième année à l’école normale.

Je n’aime pas utiliser mon nom de famille car c’est le nom de mon père que je ne connais pas. Mes parents divorcent quand j’ai deux ans et chacun
part refaire sa vie de son côté. Un couple de passage dans la Région m’adopte. Lorsque la crise de 1993 éclate, nous fuyons de villages en
villages pendant deux années jusqu’à atteindre la Tanzanie. De retour au Burundi, sept ans plus tard, mon père adoptif est hospitalisé pour un
diabète. N’étant pas son fils naturel, il a peur que sa famille me rejette après sa mort. Il me laisse de l’argent sous son matelas. Je le cache dans le
jardin et je fais mes valises sous les yeux de mes oncles qui me fouillent lorsque je quitte la maison. Je retourne chercher l’argent pendant la nuit,
je m’achète une parcelle et j’y construis une maison. Je reprends ma scolarité mais j’ai du mal à joindre les deux bouts. Un jour, j’entends parler
de Maggy à la radio et la nuit je rêve d’être l’un de ses enfants. Je redouble d’efforts pour terminer mon secondaire avec grand fruit. Je travaille
tout l’été pour m’acheter un ticket de bus pour Ruyigi. Mon bulletin scolaire en main, j’espère convaincre Maggy de m’aider à étudier. A force de
persévérance, je la croise enfin et lui raconte mon histoire. Elle refuse de m’aider mais un étranger qui l’accompagne et qui comprend le kirundi la
convainc de me soutenir. Elle m’installe dans l’une des maisons fratrie avec deux colocataires. Nous nous organisons pour faire les courses, chercher
du bois, puiser de l’eau et faire à manger. La Maison Shalom insiste sur l’autonomie que doit acquérir chacun de ses enfants et la nécessité
de vivre dans la réalité et pas comme des « richards ». Avec mon ami Albert, nous rêvons de devenir les premiers cinéastes burundais. Nous avons
tourné deux courts-métrages, l’un sur le Sida et l’autre sur les enfants des rues. Une jeune fille qui anime un club à Bujumbura vient nous former
pendant les prochaines vacances. Nous aimerions tourner un troisième court-métrage qui met en scène la difficulté de trouver des sponsors pour
réaliser des films. Quand je suis en difficulté, j’en veux à mon père de m’avoir abandonné, j’ai comme envie de le tuer. Je m’interroge sur l’évolution
de la pratique de la religion en Europe et je ne comprends pas pourquoi les colons ont imposé la religion en Afrique il n’y a pas si longtemps alors
qu’aujourd’hui ils sont en train de la laisser.



© Fabrice Monteiro
© Fabrice Monteiro

Je rêve que la Maison Shalom n’ait plus raison d’être et qu’elle disparaisse, ce serait une grande victoire. La guerre m’a tout pris, jusqu’à la
maison familiale, c’est une partie de mon histoire qui est en ruine. Ma vie est dans cette colline et je veux que ses habitants arrivent à la même
dignité que moi. Au delà de la maison Shalom, je développe des projets plus personnels. Je construis une école hôtelière et des maisons pour
accueillir les touristes et les amis. J’ai un emprunt à la banque et profite des terres héritées de mon grand-père pour démontrer que l’on peut
construire sa vie sans mendier ou faire des requêtes. Je voudrais que les activités lucratives se substituent aux actions humanitaires, c’est la clef
d’un avenir autonome et indépendant.

Je me demande pourquoi les africains pensent qu’ils doivent, pour réaliser leurs projets, demander de l’argent au Nord comme des mendiants ?
On a une belle terre fertile, on marche sur des lingots d’or, on ne va pas continuer à porter toutes les souffrances du monde sur nos épaules.
Je me demande où va l’argent des institutions internationales. Les paysans en profitent-il vraiment ? Nos agronomes africains sont plus souvent
en cravate dans leurs bureaux à rédiger des rapports et rendre des comptes pour les « Objectifs du Millénaire » plutôt qu’à toucher la terre dans
les champs et aider les paysans à optimiser leur culture. Enfant, tout poussait ici, on n’achetait jamais des haricots ou des petits pois. Depuis
que les organisations internationales distribuent des pacotilles, les paysans ne savent plus cultiver leur terre, on ne sait même plus d’où viennent
les semences. J’ai mis du temps à réaliser à quel point notre terre est bousillée par les engrais, plus rien ne pousse sans. C’est comme
les tonnes de riz envoyées par les pays étrangers qui sont vendues sur les marchés moins cher que le riz produit au Burundi. Quel gâchis alors
que nous avons une si belle terre. On trompe ces jeunes mais c’est à nous les africains de réagir, de nous prendre en main pour arriver à l’autosubsistance.

Tout semble fait pour que l’on ne puisse se passer des aides, si on ne s’organise pas, que vont devenir ces jeunes des collines ?
C’est une bombe à retardement, ce ne sont ni les bâtiments que l’on nous construit ni les grandes conférences internationales qui vont redonner
l’espoir. Je l’ai remarqué un peu tard, mais on doit rayonner, ça ne sert à rien de bricoler. Etre debout dans la dignité, c’est possible. Refuser que
nos enfants continuent d’apprendre à l’école la chanson des Frères Jacques au lieu de références culturelles burundaises, c’est possible. Une
main invisible gouverne le monde, on doit refuser d’être des wagons d’un train qu’elle emmenera là où bon lui chante.

Pendant la guerre, je mobilise les femmes combattantes. Je les installe sur un terrain, elles vendent de la bière et des brochettes. Quand les
accords de paix sont signés en 2003, je transforme ce lieu en coopérative. Aujourd’hui, on a des vaches, un bassin de rétention d’eau, des
tuyaux pour irriguer, un tracteur pour le pâturage, une fromagerie et on plante aussi des arbres fruitiers pour protéger les futures cultures. On
voudrait transformer les produits, faire des confitures, du miel, du fromage, des oeufs et aussi décortiquer le riz. On prépare petit à petit le lieu,
on avance tout doucement afin que tout le monde puisse s’approprier le projet. Il faut respecter le rythme de chacun, changer des mentalités ça
prend des siècles. Je ne dois pas m’énerver quand ça ne va pas assez vite, ça ne sert à rien de bousculer les gens, ils en perdent souvent leur
dignité. Quand ils verront que c’est mieux de travailler ensemble, ils adhèreront. C’est comme pour les questions de santé, quarante pour cent
des patients de l’hôpital Réma sont des indigents. Nous devons absolument créer un système mutualiste afin de pouvoir supporter les coûts tout
en mettant en place des mesures préventives comme la gestion des naissances ou la nutrition.

Le problème c’est que tout est lié, comment mettre en place une mutuelle quand il n’y a pas de pouvoir d’achat ? Comment faire cotiser les
paysans à une coopérative tant qu’elle ne rapporte pas ? Il faut aider les gens à s’organiser, travailler de façon globale et holistique. Grâce aux
différents prix internationaux que j’ai reçus, je peux investir en amont des projets afin que les paysans puissent rapidement récolter le fruit de
leur travail. Même si je suis décorée par de nombreux prix internationaux, les autorités ne nous facilitent pas toujours la tâche.

La Maison Shalom, ce ne sont pas des infrastructures mais un message. Je veux contribuer à la reconstruction des coeurs, il n’y a pas de races
supérieures aux autres, nous sommes une même famille humaine. Je compte sur mes enfants et mes collaborateurs de l’ombre pour continuer à
diffuser ce message : « O mort, où est ta victoire ».